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114. (1763) Réflexions sur le théâtre, vol. 1 « CHAPITRE IV. Des Pièces pieuses. » pp. 68-95

Que n’a-t-on pas dit contre les anciens Légendaires qui par le faux merveilleux qu’ils ont répandu dans les vies des Saints, quoique par des vues bien différentes des Romanciers et des Poètes, ont jeté un air de roman sur les choses les plus certaines et les plus édifiantes, et ont contribué au funeste ravage que fait le pyrrhonisme ? Tout le monde a blâmé, avec Boileau, dans le Tasse, l’Arioste, le Camoëns, Sannazar, Milton, ce bizarre assemblage d’Anges et de Démons, de Saints et de faux Dieux, de fictions et de mystères, d’aventures galantes et de vertus héroïques. […] Le théâtre aurait pu servir à jouer les faux Dieux, et à tourner le paganisme en ridicule ; la matière était abondante, on n’aurait fait qu’imiter le caustique Lucien, qui dans ses dialogues se moque de tous les Dieux. […] Je ne sache pas que les Catholiques aient usé de représailles, et vraisemblablement ils n’auraient pas mieux réussi, quoiqu’ils eussent trouvé une matière abondante dans les fureurs du Baron des Adrets, la morale licencieuse de Bèze, la polygamie du Landgrave, les bouffonneries et le mariage de Luther, les amours tragiques d’Henri VIII, dans la papauté d’Elisabeth, Papesse de l’Eglise Anglicane, bien mieux que dans la chimérique Papesse Jeanne, puisque celle-ci, fût-elle aussi réelle que Blondel la démontre fausse, elle ne l’eût été que par hasard, trompant par son déguisement, au lieu qu’Elisabeth le fut publiquement, par système, pendant tout son règne, ce qui eût bien valu le Pape de paille que l’on brûlait tous les ans à Londres en cérémonie. […] Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant ; Mais la nature est vraie, et d’abord on la sent. » Dans les pièces de Communauté, où les Acteurs sont communément des gens de bien, on sent qu’il leur en coûte de remplir les rôles de scélérat ; la vertu, timide et déconcertée, ne s’y prête qu’à regret.

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