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183. (1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Huitième Lettre. De la même. » pp. 100-232

Des Etres fantastiques, tels que les Dieux & les Magiciens, peuvent causer de l’étonnement, exciter l’admiration ou la terreur ; mais jamais ils n’intéresseront : j’imagine, que par cette raison même, la Fable & les Romans merveilleux sont plus propres que l’Histoire à fournir les sujets des Opéras : outre qu’un Poème où de véritables Héros agiraient, est trop fort de choses, il est contre l’idéalité que Cyrus, Artaxerxe, Alexandre agissent, parlent & meurent en chantant : au lieu que n’ayant que des idées extraordinaires des personnages imaginaires, nous leur supposerons plus facilement une manière de s’exprimer tout-à-fait différente de la nôtre : en outre, le Poème n’ayant par lui-même que très-peu d’intérêt relatif, il sera tel qu’il doit, être, pour que le Musicien ait sa tâche tout entière, & ne soit pas réduit à la nécessité de briller tour-à-tour avec le Poète : la Musique chez nous donnera seule le pathétique, & même l’intérêt ; c’est-à dire, que ces affections ne seront que dans la manière de s’exprimer, prêtée par le Musicien à des Etres indifférens par eux-mêmes à l’humaine nature : par ce moyen chaque langage aura sa partie distincte ; le Poète, la pensée, les situations, le tissu de l’action ; le Musicien, le mouvement & l’expression. […] Mais s’il convient de laisser subsister à l’Opéra, la fable & le mensonge*, il n’en est que plus important de porter la réforme dans les Spectacles qui en sont susceptibles, & de mettre par-là la gloire de notre siècle, à l’abri des criminations de la postérité. […] On pourrait ranger nos Comédies actuelles sous treize Classes différentes : ¶ La première fera composée des grandes Pièces de caractère, telles que le Misanthrope, le Tartufe, le Joueur, le Glorieux, le Dissipateur, &c. dans lesquelles le vice se trouve repris sérieusement, & par le ridicule : des Pièces d’Instruction, comme les Fils - Ingrats, Ésope - à - la - Cour, l’Embarras-du-choix, &c. ¶ La seconde, de celles où le vice est corrigé par un autre vice & par le ridicule ; telles que le Bourgeois-Gentilhomme, l’Avare, Georges-Dandin, l’Ecole-des-Maris, la Mère-Coquette, le Grondeur, &c. ¶ La troisième, des Pièces où le ridicule seul est mis en usage ; telles sont, l’Homme-à-bonnes-fortunes, la Métromanie, &c. ¶ Dans la quatrième Classe seront rangées toutes les Pièces sérieuses, comme celles de Lachauffée, le Père-de-famille, Cénie, Nanine, le Philosophe-marié, Dupuis & Desronais, le Philosophe-sans-le-savoir, la Pupille, &c. ¶ Nous assignerons à la cinquième, les Pièces demi-sérieuses, telles que les Dehors-trompeurs, la Surprise-de-l’Amour, le Français-à-Londres, &c. ¶ La sixième Classe, sera de toutes les Pièces du jour, où l’on corrige le ridicule courant : telles furent autrefois les Femmes-Savantes, les Précieuses-Ridicules, le Chevalier-à-la-Mode, &c. que je nommerai, Pièces surannées ; & de nos jours, la Matinée-à-la-Mode, les Adieux-du-Goût, le Faux-Savant, Heureusement, le Cercle : nous y joindrons celles qui célèbrent un évènement récent, comme l’Anglais-à-Bordeaux, &c. ¶ Dans la septième Classe nous mettrons la Comédie Héroïque, qui tient de la Tragédie par l’élevation des personnages, & de la Comédie par l’intrigue & le dénoûment, comme Dom-Bernard-de-Cabrera, Laure-persécutée, le Cid, Dom-Sanche-d’Arragon, le Prince-jaloux ou Dom-Garcie, la Princesse-d’Elide, les Amans-Magnifiques, la Princesse-de-Navarre, & même l’Ambitieux-&-l’Indiscrète de Destouches. ¶ La huitième Classe comprendra les Romans dramatiques, tels que le Muet, Mélanide, Alcibiade, le Consentement-forcé, &c. ¶ Toutes les Pièces de Féerie, comme l’Oracle, Amour-pour-Amour, Zénéïde ; les sujets pris de la Fable, comme les Grâces ; les Pastorales, comme Hylas-&-Sylvie, &c. formeront la neuvième Classe

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