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36. (1702) Lettre de M. l’Abbé de Bellegarde, à une Dame de la Cour. Lettre de Lettres curieuses de littérature et de morale « LETTRE. de M. l’Abbé de Bellegarde, à une Dame de la Cour, qui lui avait demandé quelques réflexions sur les pièces de Théâtre. » pp. 312-410

La Fable, ou la composition du sujet, est la partie la plus essentielle de la Tragédie : On l’appelle Fable, parce qu’il est libre au Poète d’inventer les sujets tragiques, qu’il veut exposer sur la scène, ou d’en altérer les circonstances, quoique véritables, pour les ajuster au Théâtre. […] S’il expose à la fin de la Tragédie deux grandes actions, l’âme partagée demeure incertaine, et ne sait à quels sentiments se fixer. […] Le caractère des Poètes dramatiques est bien différent de celui des Avocats, qui plaidaient devant les Juges de l’Aréopage : Il leur était très expressément défendu d’employer aucune figure, qui pût exciter quelque passion dans l’esprit de ces Sénateurs ; on se contentait de rapporter le fait, et d’exposer simplement les raisons qui l’appuyaient. L’emploi du Poète est tout différent ; il doit se servir de tout son esprit, et mettre en œuvre toutes les règles de son art, pour jeter le trouble dans l’âme des spectateurs, qui entrent dans tous les sentiments du Héros que l’on expose sur la scène, soit que sa destinée soit heureuse, ou malheureuse. […] Aristophane, qui excella en son Art, s’en prévalut, et en abusa peut-être, pour exposer le pauvre Socrate à la risée des Athéniens, qui le condamnèrent enfin à boire de la Ciguë, quoiqu’il fût le plus sage, et le plus homme de bien de leur République.

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