Jamais les Courtisannes ne furent si séduisantes, ni étalées dans un jour si favorable, que des filles sur un théatre, exercées à la danse, au chant, au geste, à la déclamation, à des rôles, à se parer, à figurer, admirées, applaudies, choisies avec des talens & des graces, parlant toujours passion, en connoissant tous les rafinemens, entretenues, pensionnées, &c. […] Jamais les filles de joie ne furent ni si nombreuses, ni si libres, ni si hardies ; elles disent avoir obtenu je ne sais quel brevet qu’on ne s’est pas embarrassé d’approfondir, qui les soustrait à la juridiction municipale des Capitouls, & les soumet à quelque Inspecteur général de la police du théatre qui demeure à Paris, & qui exerce par ses Lieutenans, amateurs indulgens. […] Mais tout cela ne fait qu’une différence du plus au moins ; l’amour exerce partout son empire, quoique peut-être avec moins de fracas. […] Elles sont infiniment susceptibles de tendresse, & portées à la passion : tout ici respire la licence, en offre les objets, en découvre les moyens, en inspire les sentimens, en lève les obstacles, en ôte la honte ; & ce qui les enchante, c’est que jetant un voile transparent sur le crime, on y familiarise en le déguisant, on soulage la pudeur en l’affoiblissant, on les flatte d’assez de vertu pour en éviter la grossiereté, d’assez de bonheur pour sauver les apparences, & d’assez d’indulgence dans le monde pour n’en être pas moins estimées ; leurs exploits font bien-tôt voir de quels lauriers méritent de ceindre leur front des guerrieres si bien exercées.