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12. (1726) Projet pour rendre les spectacles plus utiles à l’Etat « Projet pour rendre les spectacles plus utiles à l’Etat » pp. 176-194

Projet pour rendre les spectacles plus utiles à l’Etat Je suis de l’avis de ceux qui pensent que les bons citoyens dans leur belles pièces sérieuses peuvent inspirer, entretenir et fortifier l’amour pour la patrie et des sentiments de courage, de justice, et de bienfaisance ; je crois de même que dans leurs pièces comiques ils peuvent inspirer du dégoût et de l’aversion pour la mollesse, pour la poltronnerie, pour le métier de joueur, pour le luxe de la table, pour les dépenses de pure vanité, pour le caractère impatient, chicaneur, avaricieux, flatteur, indiscret, hypocrite, menteur, misanthrope, médisant, en un mot pour tous les excès qui font souffrir les autres et qui rendent les vicieux fâcheux et désagréables pour plusieurs des personnes avec qui ils ont à vivre. […] La seconde, d’inspirer du mépris pour la mollesse, pour la fainéantise, et pour les excès du luxe et de la volupté, qui diminuent le bonheur de leurs pareils ; la troisième, c’est de jeter du ridicule sur toutes nos petites vanités et sur nos affectations lorsqu’elles ne tendent qu’à nous donner des distinctions qui ne sont d’aucune utilité pour le Public. […] Ainsi avec un des grands mobiles des hommes qui est le désir de la distinction, le Poète pourra en divertissant les spectateurs augmenter considérablement l’empire de la vertu et de la gloire aux dépens de l’empire de la mollesse et de la vanité, la perte de l’un sera l’augmentation de l’autre, et à dire la vérité, les hommes n’ont rien de solide et de durable à opposer au furieux désir des plaisirs des sens si nuisibles dans leur excès à la société, que le ressort ou le désir des plaisirs de la distinction la plus précieuse qui tend toujours au plus grand bonheur de cette même société. […] Mais par la même raison, il me paraît contre le bon sens et contre la bonne police de permettre de parodier et de tourner en ridicule d’excellentes pièces sérieuses, où la vertu est honorée et le vice puni ; cet excès dans les parodies est la suite de la corruption de nos mœurs ; le Poète pour procurer du plaisir au spectateur et pour gagner plus d’argent ne s’embarrasse pas de confondre le bon avec le mauvais, l’estimable avec le ridicule, le grand avec le méprisable, l’odieux avec l’aimable, comme si toutes ces choses étaient égales pour le bonheur et pour le malheur de la société, et comme si le but de la raison n’était pas d’unir toujours dans les spectacles l’utilité de la société au plaisir du spectateur.

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