Si nous étions dans l’obscurité sur cet article, et qu’il prit envie à quelqu’un de soutenir que le Théâtre, dans ses commencements, a été tel que nous le voyons dans les deux Poètes qui viennent d’être nommés ; tout le monde se révolterait contre un sentiment si contraire à l’expérience, qui nous apprend que le pathétique et le sublime, tels qu’on les trouve dans Sophocle et dans Euripide, ne peuvent être des coups d’essai de l’esprit humain. En effet l’invention du Théâtre qui aujourd’hui (faute d’y réfléchir) n’est pas regardée avec l’admiration qui lui est dûe, cette invention, dis-je, supposait dans l’esprit où elle a pris naissance, des idées confuses du merveilleux, où les grands Hommes ont peut-être toujours voulu atteindre, mais où ils n’ont pû réellement parvenir qu’après un nombre infini de réfléxions, d’examens et de rapports combinés, qui supposent nécessairement de longues études, une tête bien faite, et surtout un génie supérieur. Cependant dans ces premiers Poèmes dramatiques, ainsi que dans ces derniers, l’Auteur se proposait pour but principal de plaire à ses Spectateurs : car soit qu’il voulut les corriger, soit qu’il voulut simplement les amuser, il est certain qu’il ne pouvait réussir ni dans l’un ni dans l’autre de ces projets, qu’en faisant sur leurs esprits une impression, qui leur rendit aimables ou ses leçons ou ses jeux ; si quelques Poètes n’ont pû arriver à ce but ce n’est point la faute du Théâtre, mais uniquement de l’Auteur ou de l’Acteur, comme on va tâcher de le faire sentir. […] Or, il arrive quelquefois que les Auteurs au lieu de copier la nature la défigurent : et de l’autre côté que les Acteurs la font tellement grimacer que le Spectateur qui la cherche ne peut la reconnaître ; Mais lorsqu’un Auteur est parvenu à bien peindre la nature et que les Acteurs récitent la Pièce dans son véritable ton, en sorte que l’esprit séduit agréablement, prenne la fiction pour la vérité même : alors on est obligé de convenir qu’une représentation Théâtrale est un amusement supérieur à tout autre Spectacle public tel qu’il puisse être, parce qu’en satisfaisant les yeux, il intéresse le cœur et l’esprit.