/ 287
69. (1667) Lettre sur la Comédie de l'Imposteur « Lettre sur la Comédie de l’Imposteur » pp. 1-124

L’autre est un beau jeu du sens de ces mots, « c’est un homme », qui concluent très véritablement, que Panulphe est extrêmement un homme, c’est-à-dire un fourbe, un méchant, un traître et un animal très pervers, dans le langage de l’ancienne Comédie : et enfin la merveille que l’on trouve dans l’admiration que notre entêté a pour son bigot, quoiqu’il ne sache que dire pour le louer, montre parfaitement le pouvoir vraiment étrange de la Religion sur les esprits des hommes, qui ne leur permet pas de faire aucune réflexion sur les défauts de ceux qu’ils estiment pieux, et qui est plus grand lui seul, que celui de toutes les autres choses ensemble. […] Ils continuent, que c’est ce que les Poètes ont pratiqué, en introduisant des personnages passionnés dans la Tragédie et des personnages ridicules dans la Comédie (ils parlent du ridicule dans le sens d’Aristote, d’Horace, de Cicéron, de Quintilien et des autres maîtres, et non pas dans celui du peuple :) qu’ainsi faisant profession de faire voir de méchantes choses, si l’on n’entre dans leur intention ; rien n’est si aisé que de faire leur procès : qu’il faut donc considérer si ces défauts sont produits d’une manière à en rendre la considération utile aux Spectateurs : ce qui se réduit presque à savoir s’ils sont produits comme défauts, c’est-à-dire comme méchants et ridicules ; car dès là ils ne peuvent faire qu’un excellent effet. […] Pour connaître ce Ridicule il faut connaître la Raison dont il signifie le défaut, et voir en quoi elle consiste. […] Or tous les galants qui se servent des mêmes persuasions que Panulphe, sont en quelque degré dissimulés et hypocrites comme lui ; car il n’en est point qui voulût avouer en public les sentiments qu’il déclare en particulier à une femme qu’il veut perdre : ce qu’il faudrait qui fût, pour qu’il fût vrai de dire, que ses sentiments de tête-à-tête n’ont aucune disconvenance avec ceux dont il fait profession publique, et par conséquent aucune indécence ni aucun ridicule : et le premier fondement de tout cela est ce que j’ai établi dès l’entrée de cette réflexion, que la providence de la Nature a voulu que tout ce qui est méchant eût quelque degré de ridicule, pour redresser nos voies par cette apparence de défaut de raison, et pour piquer notre orgueil naturel, par le mépris qu’excite nécessairement ce défaut, quand il est apparent comme il est par le Ridicule : et c’est de là que vient l’extrême force du ridicule sur l’esprit humain, comme de cette force procède l’effet que je prétends. Car la connaissance du défaut de Raison d’une chose que nous donne l’apparence de Ridicule, qui est en elle, nous fait la mésestimer nécessairement, parce que nous croyons que la raison doit régler tout.

/ 287