/ 404
39. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique — CHAPITRE IV. La Tragédie est-elle utile ? Platon condamne toute Poesie qui excite les Passions. » pp. 63-130

Ce n’étoit point la peinture des Passions voluptueuses qu’il craignoit : il en étoit si peu ennemi, que dans sa vieillesse, il chantoit encore dans ses Vers l’Amour & le vin : il craignit que toutes ces lamentations dont le Théâtre retentissoit, n’affoiblissent le courage de l’ame. […] Et nous demeurerons fermes dans l’opinion qu’on ne doit point se livrer à elle, ni l’étudier comme quelque chose de serieux & de conforme à la vérité ; mais qu’il faut au contraire que tout homme qui craint de voir troubler l’œconomie de son ame soit en garde contre elle, & ne l’écoute qu’avec crainte. […] Quand je vois un Néron, un Narcisse, certain que je ne serai jamais un Scélérat, je ne crains rien pour moi-même, je ne crains que pour Britannicus & Junie : quand je vois Œdippe & Phedre, je crains pour moi-même, parce que je puis commettre involontairement de grands crimes, & je puis par foiblesse m’abandonner à une Passion criminelle en la détestant. […] Une Piéce ne peut exciter la Crainte sans la Pitié, puisqu’on ne craint que pour ce qu’on plaint, sans cela je dirois de même qu’une Piéce qui exciteroit la Crainte sans la Pitié, seroit une Tragédie imparfaite. […] On ne craint que pour ses semblables.

/ 404