On y voit la passion la plus généralement répandue et la plus à craindre s’élever sur les ruines de toutes les vertus, dominer dans presque tous les cœurs et fonder les principaux intérêts ; on y voit les faiblesses et les crimes qu’elle traîne à sa suite, déguisés, palliés par les tours ingénieux d’une morale aussi fausse que séduisante, justifiés, autorisés par de grands exemples, ou présentés sous des traits qui les font paraître plus dignes de compassion que de censure et de haine ; on y apprend à nouer les intrigues d’amour ou à en parler le langage, à en adopter les prétextes ou en répéter les excuses ; on y voit les autres passions les plus ardentes et les plus dangereuses, ces passions qui sont les secrets mobiles du cœur humain et qui enfantent tous nos malheurs, l’orgueil, l’esprit de domination, le ressentiment des injures prendre un air de noblesse et d’élévation qui semble les rapprocher de la grandeur d’âme et du vrai courage. […] Cependant je crains bien qu’aux yeux des spectateurs, sa grandeur d’âme ne diminue beaucoup l’atrocité de ses crimes, et qu’une pareille pièce, jouée devant des gens en état de choisir, ne fît plus de Mahomet que de Zopire. […] au lieu qu’il faudrait apprendre aux jeunes gens à se défier des illusions de l’amour, à fuir l’erreur d’un penchant aveugle qui croit toujours se fonder sur l’estime, et à craindre quelquefois de livrer un cœur vertueux à un objet indigne de ses soins. […] Tâchez surtout de nous prouver bien clairement ce dernier point ; car j’observe que les parents qui s’occupent de l’éducation de leurs enfants vous redoutent étrangement ; que les personnes à qui leurs places prescrivent de la gravité, de la décence, craindraient d’être surprises dans les temples où l’on débite si pompeusement vos maximes ; que bien des gens sensés s’y ennuient ; que vos prêtres et vos prêtresses ne jouissent pas encore des droits que les lois accordent au dernier citoyen. […] Qu’on ait donc soin d’inculquer de bonne heure aux jeunes gens qu’ils ne sont point faits, comme de vils animaux, pour se procurer des sensations voluptueuses ; que leur raison est le flambeau qui doit les éclairer ; que cette raison, épurée par la religion, dicte des devoirs ; que la satisfaction qui provient des actions vertueuses est le plus grand de tous les plaisirs, et le seul permanent ; qu’un homme qui néglige sa raison est plus à craindre que celui qui renoncerait volontairement à l’usage de ses yeux ; qu’il est aussi impossible d’être heureux avec une âme souillée de vices, que de se bien porter avec un corps couvert d’ulcères ; que la science est la source des biens, comme l’ignorance est la source de tous les maux. » « On nous dira peut-être que le théâtre épuré par le goût et la décence est devenu pour les modernes une école de mœurs.