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1. (1707) Lettres sur la comédie « Réponse à la Lettre de Monsieur Despreaux. » pp. 276-292

Sur ce que vous dites qu’une chose qui peut produire quelquefois de mauvais effets dans des esprits vicieux, quoique non vicieuse d’elle-même, ne doit point être défendue, quand surtout elle peut servir à l’instruction et au délassement des hommes ; je réponds avec Saint Augustin, (voilà un Antagoniste digne de vous ;) je réponds, dis-je, avec Saint Augustin, que le fond de l’homme étant naturellement vicieux et corrompu, et les meilleures choses par conséquent sujettes à être tournées en poison presque chez tous les hommes, tout ce qui se présente à eux sous une image de volupté, même la plus innocente, peut causer de terribles impressions sur les âmes, et les cause même nécessairement. […] Augustin, que je ne me lasse point de citer, les appelle tantôt l’impureté d’une folle compassion, et tantôt une démangeaison d’amour propre, qui n’est pas fâché qu’on lui égratigne la peau, pour ainsi parler ; parce que cette satisfaction passagère lui cause une enflure pleine d’inflammation, d’où il sort du sang corrompu et de la boue. […] Monsieur, j’ose encore ne pas convenir avec vous, que l’amour exprimé chastement dans cette Poésie, bien loin d’inspirer de l’amour, contribue à guérir de l’amour, pourvu qu’on n’y répande point d’images ni de sentiments voluptueux, et que si quelqu’un malgré cette précaution ne laisse pas de s’y corrompre, la faute vient de ce quelqu’un, et non pas de la Comédie. […] J’en reviens toujours à mon principe, Monsieur, et ce principe est que tous les hommes tenant plus ou moins à la concupiscence, (voilà un terrible mot à prononcer dans une Lettre ; mais je vous dirai, comme Phèdre dit à sa nourrice, à propos d’Hippolyte, c’est toi qui l’as nommé,) je vous dirai donc qu’attendu le malheur de notre nature corrompue, nous sommes tous plus ou moins sensibles à la vive peinture des passions, et que celle de l’amour étant la dernière mourante chez les hommes, le moindre souffle d’amour vertueux ou corrompu, le réveille dans tous les hommes, comme le moindre petit zéphyr est capable d’agiter les feuilles ; que cela n’est point l’effet de la disposition du cœur de quelque homme en particulier, que c’est la faute de la machine prise dans toute son étendue. […] Térence et Virgile n’en sont pas quittes à meilleur compte avec ce saint Docteur, qui plaint les hommes de son siècle d’être réduits à puiser la pureté de leur langage dans ces sources empoisonnées ; quoique d’ailleurs il convienne que les paroles sont en elles-mêmes comme des vases riches et précieux ; mais qu’on boit souvent le vin corrompu dans ces coupes d’or.

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