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69. (1819) La Criticomanie, (scénique), dernière cause de la décadence de la religion et des mœurs. Tome II « La criticomanie. » pp. 1-104

Aussi on a pu remarquer encore que la satire de l’avare a donné lieu aux désordres de la prodigalité plus qu’elle n’a corrigé ceux de l’avarice, et que sous ce seul rapport elle a déjà été très-nuisible à la société : cette méthode simple, dis-je, susceptible de contrepoids ou de correctifs que ne permettent pas les règles ou les entraves de l’autre qui sacrifie tout à l’envie de faire rire, à la nécessité de divertir, aurait pu être employée plus heureusement aussi à arrêter beaucoup d’autres extravagances ; comme celles des vieux maris, par exemple, et celle qui est jouée dans la pièce de Georges Dandin. […] Ce ne peut être par la raison qu’il en est un plus grand besoin pour les corriger ; il n’est pas permis de penser que les moyens ordinaires de réforme, que la persuasion, les bons exemples, surtout cette patience, cette modération, recommandées envers les fourbes et les méchants, n’agissent pas aussi efficacement sur des hommes profondément pénétrés de l’amour des vertus que sur tout autre ; on use ici de plus de rigueur, on est inconséquent, injuste, par cette raison que j’en ai donnée déjà : que ces inconséquents, ces contre-sens, ou cette forme de leçon dont les effets sont opposés à l’objet du fond est un ressort dramamatique le plus souvent nécessaire pour attacher, égayer et rappeler le public. […] Je suis persuadé que si cet écrivain justement célèbre pouvait revenir parmi nous et comparer son temps avec celui qui l’a suivi jusqu’à l’époque actuelle, il avouerait lui-même qu’il s’est trompé ; que non-seulement il n’a rien fait d’utile pour les mœurs, mais qu’ayant frappé leurs ennemis inconsidérément, il a tué les bons au lieu de corriger les méchants. Il verrait avec regret que ses écoles des femmes et des maris, et autres pièces, n’ont été que des écoles de mauvaises mœurs ; qu’en voulant corriger les vices de quelques parents dénaturés, exceptés de la règle générale, il avait compromis partout l’autorité paternelle ; qu’en voulant corriger les travers d’un petit nombre de maris, il avait jeté du ridicule ou de la défaveur sur tous les chefs de famille, sur les devoirs du mariage, sur les idées religieuses qui les sanctifient ; qu’il avait donné de bonnes leçons de ruses et d’artifices aux épouses qu’il trouverait peut-être en avoir assez bien profité. […] Tournez-les aussi en ridicule, corrigez-les à votre manière, vous verrez bientôt le nombre des égoïstes grossir et la bienfaisance s’endormir ; elle n’y est déjà que trop disposée.

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