L’homme n’a pas besoin qu’on lui apprenne à sentir une passion que la nature ne lui inspire que trop ; mais il a extrêmement besoin d’apprendre à corriger les désordres de cette passion, lorsqu’elle est devenue vicieuse. […] Qu’on ne me dise pas que des amours qui causent tant de tourments à ceux qui en sont possédés, et qui les portent à tant d’extravagances, sont plus propres à corriger de cette passion qu’à l’exciter : Cela pourrait se dire avec quelque vraisemblance, si, après tous ces tourments, et toutes ces extravagances, les Amants finissaient par être réellement malheureux : En ce cas les Spectateurs pourraient concevoir de l’aversion pour une passion qui ne produit que des peines dans sa fin, comme dans son progrès : mais malheureusement l’amour de Théâtre, et surtout celui de la Comédie, a toujours un succès heureux ; et le Spectateur en conclut avec raison, que les maux soufferts par les Amants, pour arriver à ce succès favorable, loin d’être une juste punition due à une passion condamnable, sont plutôt une persécution injuste suscitée à la vertu qui finit par en triompher. […] J’avoue que, dans leurs Tragédies, les Grecs ne l’ont montré que par ses fureurs et ses emportements ; et, par là, cette passion n’a jamais manqué d’inspirer aux Spectateurs une horreur capable de les corriger. […] Les quatre sortes de sentiments que je viens d’indiquer sont tels que, s’ils étaient mis sur la Scène avec tout l’appareil propre à en faire valoir l’intérêt, ils ne pourraient manquer de remplir l’objet que l’on doit se proposer, qui est de corriger et d’instruire ; mais on ne saurait disconvenir que la passion de l’amour, ainsi qu’on a coutume de nous la représenter, ne produise des effets tout contraires.