Racine, est si pathétique, et si touchant, que le spectateur est autant attendri par cette narration, que s’il voyait de ses yeux Hippolyte traîné par ses chevaux, et Aricie pâmée auprès du corps de son Amant, qui expire, et qui est tellement défiguré, qu’à peine le peut-elle reconnaître. Le spectateur fait bon gré au Poète, de lui épargner la vue des corps sanglants de ces Héros blessés à mort, et expirants sur le Théâtre ; mais un Auteur qui se défie de la faiblesse de son génie, et qui craint de ne se pas assez soutenir dans sa narration, pour produire de grands sentiments dans l’esprit de ses auditeurs, leur met sous les yeux, des corps percés de coups, et mourant, pour les émouvoir par la vue de ces horribles spectacles : Il imite en cela certains Avocats, qui manquant d’art et de génie pour exciter la compassion dans l’esprit de leurs Juges, faisaient peindre les malheurs de leurs Clients, pour obtenir par ces représentations muettes, ce qu’ils ne croyaient pas pouvoir obtenir par la force de leurs raisons, et de leur éloquence. […] C’est une faute que les critiques reprochent à Euripide dans son Hécube ; les plaintes que fait cette mère infortunée, après avoir trouvé le corps de son fils Polydore, que le perfide Roi de Thrace avait fait égorger, attendrissent tout le monde ; il fallait s’en tenir là. […] Le premier représente Achille, qui remplit l’air de ses cris, et qui se désespère, non pas de la mort de son ami Patrocle, mais de ce que les mouches s’attachaient à son corps, et suçaient le sang de ses plaies. […] Les forces de l’esprit et du corps de l’homme sont bornées ; on ne peut pas être appliqué toujours à des choses sérieuses ; on a besoin de temps en temps de relâche pour reprendre son travail avec plus de vivacité et plus de fruit.