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262. (1694) Lettre d’un Docteur de Sorbonne à une personne de Qualité, sur le sujet de la Comédie « letter » pp. 3-127

Notre Docteur cependant a passé sur tout cela ; et comme s’il n’y avait rien dans l’Ecriture sainte de contraire à la Comédie, et par où l’on puisse décider entre les anciens Pères de l’Eglise et les Scolastiques modernes, il conclut qu’il faut donc avoir recours à la raison : « Tâchons donc, dit-il, de nous servir de cette règle de saint Cyprien ; que la raison doit expliquer ce que l’Ecriture a voulu taire, et faisons nos efforts pour concilier les conclusions des Théologiens avec les décisions des Pères de l’Eglise.» […] Avant que d’en venir à l’examen de ce que notre Docteur prétend trouver dans Tertullien et dans saint Cyprien en faveur de son opinion, je ne puis m’empêcher de relever une expression brutale et peu convenable, dont il s’est déjà servi en parlant des Pères qui lui sont contraires, et qu’il emploie encore ici en parlant de Tertullien et de saint Cyprien, au moment qu’ilk se les veut concilier : « Ce sont les deux, dit-il, qui semblent s’être le plus déchaînés contre la Comédie. » Ce mot de « déchaînés », s’accorde-t-il bien, je vous prie, avec le respect que l’on doit aux Pères de l’Eglise ? […] Ce que saint Bonaventure par conséquent n’aurait point approuvé, non plus que saint Antonin et Albert le Grand : car enfin tous ces trois Auteurs ne permettent les Jeux, que supposé qu’ils n’aient rien de contraire à l’honnêteté, rien qui puisse déplaire à Dieu, et rien qui puisse déconcerter l’harmonie de l’âme. […] Dans le troisième Synode de Milan, il ordonne aux Prédicateurs de reprendre avec force ceux qui suivent les Spectacles, et de ne pas cesser de représenter aux Peuples « combien ils doivent détester et avoir en exécration les jeux, les Spectacles et autres semblables badineries, qui sont des restes du Paganisme, qui sont contraires à la discipline chrétienne, et qui sont les sources de toutes les calamités publiques, dont les Chrétiens sont affligés». […] Le Cardinal de Richelieu avait cru que ces conditions était compatibles avec les divertissements qu’on cherche à la Comédie : mais l’expérience a fait voir le contraire ; la Scène depuis ce temps-là n’a point changé de face, on a représenté depuis comme auparavant des Pièces purement Comiques, on a joué des farces, on a dansé des ballets, les décorations ont été également pompeuses, les Acteurs et les Actrices ont paru avec les mêmes airs et les mêmes ajustements, les passions les plus vives et les plus piquantes, ont éclaté dans les Pièces les plus sérieuses ; et quand on pense dire son sentiment là-dessus, on répond que sans tout cela les Acteurs et les Spectateurs se morfondraient également au Théâtre, tant il est vrai que la Comédie sera toujours Comédie, et les Comédiens toujours Comédiens, c’est-à-dire, toujours infâmes.

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