Il est vrai que ce Vers rendu ainsi dans votre Langue, On ne peut vous cacher que la Reine a la fiévre, devient Prosaique, ce qui doit vous faire connoître la grande différence qui est entre une Nation qui a une Langue Poëtique, & une autre qui n’en a point. […] Andromaque recommandant à sa Confidente de faire connoître à son Fils les Héros de sa Race, ajoute, Di-lui par quels exploits leurs noms ont éclaté, Plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont été : Parle-lui tous les jours des exploits de son Pere, Et quelquefois aussi parle-lui de sa Mere. […] Il en faut dire autant des Poëtes Dramatiques Grecs, qui très-libertins dans la Comédie, furent toujours sages dans la Tragédie, parce qu’ils ne s’imaginerent jamais qu’un Poëme destiné à faire verser des larmes, & à peindre des douleurs véritables, Dût connoître l’Amour & ses folles douleurs. […] Si nos premiers Poëtes eussent connu leur Art, ils eussent pensé tous, qu’un Poëme dont l’objet est d’exciter la plus grande émotion, ne devoit point prendre pour Passion ordinaire, celle qui ne cause ordinairement qu’une foible émotion : mais aucun de nos premiers Poëtes Tragiques n’avoit, comme je l’ai dit plus haut, étudié son Art : ils ne songeoient qu’à satisfaire le goût de leurs Spectateurs. […] Il n’est pas étonnant qu’on l’accuse en Italie d’avoir mis à la mode dans notre Tragédie, le langage amoureux, puisque dans le pays où il doit être mieux connu, tant de Personnes s’imaginent que ce langage étoit toujours le sien, qu’il ne faisoit ses Tragédies que pour faire valoir une Actrice, dont il étoit l’esclave, Actrice cependant qui n’eut jamais (comme j’en suis certain) aucun empire sur lui, & qu’on se représente parlant d’Amour parmi les femmes, un homme qui uniquement occupé de l’étude de son Art, passa avec les Poëtes Grecs le tems de la vie où les passions sont les plus vives.