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125. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — TROISIEME PARTIE. — Tragédies à conserver. » pp. 128-178

J’ose donc me flatter que tout Lecteur raisonnable, et même délicat, ne me reprochera pas trop de condescendance en adoptant cette Pièce : on ne peut trop condamner, je le répète encore, la passion d’amour, lorsqu’elle est empoisonnée, comme on la trouve dans un trop grand nombre de Pièces ; mais il faut aussi l’approuver sur le Théâtre, lorsqu’elle peut être profitable. […] Crébillon, j’étais d’une certaine façon prévenu contre elle ; on m’avait dit qu’elle était si atroce qu’on ne pouvait, sans frémir, en voir la représentation : après l’avoir lue, sans condamner tout à fait ceux qui m’en avaient fait ce portrait, je me sentis engagé à faire quelques réflexions sur la différence du goût des hommes dans les différents temps. […] Quoique je ne les condamne point d’en être vivement émus d’horreur ; je ne puis cependant m’empêcher de savoir bon gré au Poète, qui, pour détruire par une forte impression le sentiment et le désir de la vengeance, a choisi un des faits le plus marquant que l’antiquité nous ait laissé en ce genre. […] Quand les Auteurs se seront imposés la loi de punir la passion d’amour dans leurs Ouvrages, comme ils punissent toutes les autres passions, alors elle sera digne du Théâtre ; parce que la représentation en deviendra utile à la République : mais toutes les fois que la passion d’amour sera non seulement accompagnée de mollesse, mais encore récompensée, comme on ne le voit que trop souvent dans les Pièces de Théâtre ; alors on ne pourra en aucune manière la justifier, et je serai toujours le premier à la condamner.

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