Projet pour rendre les spectacles plus utiles à l’Etat Je suis de l’avis de ceux qui pensent que les bons citoyens dans leur belles pièces sérieuses peuvent inspirer, entretenir et fortifier l’amour pour la patrie et des sentiments de courage, de justice, et de bienfaisance ; je crois de même que dans leurs pièces comiques ils peuvent inspirer du dégoût et de l’aversion pour la mollesse, pour la poltronnerie, pour le métier de joueur, pour le luxe de la table, pour les dépenses de pure vanité, pour le caractère impatient, chicaneur, avaricieux, flatteur, indiscret, hypocrite, menteur, misanthrope, médisant, en un mot pour tous les excès qui font souffrir les autres et qui rendent les vicieux fâcheux et désagréables pour plusieurs des personnes avec qui ils ont à vivre. […] Il est à propos que le Roi crée une place de premier Poète tragique ou sérieux, et une autre de premier Poète comique, qu’il les nomme d’entre les trois que nommera le Bureau des spectacles, ils seront choisis entre ceux qui auront fait plus de pièces qui soient en même temps plus agréables aux spectateurs et plus utiles aux bonnes mœurs. […] Il faut dans les pièces comiques observer trois choses capitales. […] Quand les poètes comiques auront pris soin de jeter de la haine, du mépris, ou du ridicule sur les crimes, sur les vices et sur les défauts que produit ou l’injustice, ou la paresse, ou la vanité, il sera bien plus facile aux Poètes sérieux de mettre en œuvre à l’égard des spectateurs le ressort ou le motif de la belle gloire ; car il faut bien que l’homme marche vers quelque espèce de gloire, ou de distinction entre ses pareils ; c’est son penchant naturel, c’est un de ses grands plaisirs de se sentir distingué parmi ceux avec qui il a à vivre ; ainsi quand les bons Comiques nous auront bien dégoûtés de toutes les sortes de distinctions qui gâtent le commerce, nous marcherons naturellement vers la distinction vertueuse qui naît de l’acquisition des talents et de la pratique des vertus qui rendent le commerce agréable.