Fort de la pureté de mes intentions et de la certitude que mon opinion nouvelle, en cas d’erreur, et du reproche imminent d’avoir négligé ce précepte : Sumite materiam vestris qui scribitis æquam viribus , ne peut causer aucun mal, et pourrait encore, au contraire, donner quelques indications neuves et faire naître des idées utiles à d’autres écrivains plus exercés, qui considéreraient ce sujet sous de nouveaux points de vue ; j’aurai le courage d’écrire, de soumettre à la discussion la plus solennelle, et au jugement des hommes les mieux éclairés ce que je crois avoir remarqué de plus, en continuant de chercher de bonne foi, et sans d’autre passion que celle du bonheur commun, comment il s’est fait que, malgré toutes nos lumières et nos belles institutions, malgré nos immenses bibliothèques renfermant tant de plans et de systèmes, ou de bons livres destinés à nous améliorer, comme ceux qui paraissent encore tous les jours sous toutes les formes ; et malgré les exemples, les efforts successifs et continuels des orateurs les plus éloquents et les plus vertueux, et des sages les plus instruits, les plus persuasifs, secondés par les plus vigoureuses satires et censures ou critiques vivantes de nos personnes, de nos défauts et de nos vices, nous soyons toujours tombés en effet de plus en plus dans le relâchement, et soyons arrivés sitôt au degré de cette effrayante dissolution de mœurs dont un parti accuse aujourd’hui avec si peu de discernement ces moyens mêmes de réformation. […] Soyez mes juges, hommes de bien, observateurs sages qui, étrangers aux exagérations passionnées des partis, voyez mieux les véritables causes de ce débordement, et osez avouer à vos antagonistes la perversité, toutes les perfidies, les criminelles extravagances de vos contemporains, en les voyant habituellement se trahir, se persécuter les uns les autres, commettre toutes les espèces d’injustices et d’excès, chercher le bonheur en détruisant ce qui en est le principe, acquérir des richesses, obtenir des places en donnant l’exemple contagieux et funeste du mépris des vertus et des lois qui en sont la garantie ; biens empoisonnés dont ils ne doivent pas jouir en paix, dont les enfants seront un jour dépouillés par les mêmes moyens odieux que les parents ont pratiqués et propagés avec aussi peu de retenue que si la fin de leur vie devait être la fin de tout ce qui les intéresse. […] occupez-vous la moindre place sans être en proie à vingt dénonciateurs qui cherchent à vous la ravir ? […] Ces répétitions d’ailleurs sont dûment autorisées par la continuation du mal qui va toujours en augmentant, et ne peut diminuer qu’à proportion que le nombre des hommes qui en sont véritablement effrayés, et cherchent de concert à l’arrêter, approchera du nombre de ceux qui se plaisent et s’accordent à le commettre.