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16. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — QUATRIEME PARTIE. — Tragédies à corriger. » pp. 180-233

Les Auteurs sont donc convaincus d’avoir abandonné ce principe : et quoique je ne l’adopte pas moi-même, je ne cesse pas d’être en droit de faire cette remarque ; puisque ce principe leur paraît essentiel, pendant qu’il me paraît peu exact : car il est incontestable que dans leurs Pièces Œdipe est innocent de tout point ; et que tout parricide et incestueux qu’il est, il n’a rien fait qui mérite qu’on le punisse. […] En examinant cette Tragédie du côté de la passion d’amour, je ne cesserai pas de remarquer ce qui aura rapport à la qualité de l’action et à la conduite, afin d’y démêler si elle est convenable pour notre siècle. […] Le Spectateur, voyant Médée rester en vie, ne cesse point de détester l’Auteur de tant de crimes, et sent un plaisir secret à espérer qu’elle languira longtemps dans des tourments égaux à sa méchanceté, s’il est possible, et dont enfin elle sera accablée. On dira, peut-être, que l’expérience nous apprend le contraire de ce que j’avance ; puisque nous sommes témoins chaque jour que les justes supplices, décernés aux grands criminels, font sur les hommes les plus vives impressions d’horreur et de compassion ; pendant qu’ils ne voient qu’avec répugnance les coupables languir dans les douleurs : mais, il on fait réflexion à la différence qu’il y a de voir avec les yeux de l’âme, ou avec les yeux du corps, on cessera de faire cette objection. […] Il n’est guère possible à l’homme de garantir son cœur de toutes passions : tout ce qu’il peut faire est de leur en disputer l’entrée ; et si elles y entrent malgré sa résistance, de les combattre sans cesse, et de ne jamais y succomber : c’est pour cela que sentir une passion n’est point un crime, ne pas la réprimer, en serait un.

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