Un chrétien, disent les saints Pères, est un citoyen du ciel qui, exilé pour quelque temps dans une terre étrangère, ne doit soupirer qu’après cette patrie céleste, pour laquelle il est destiné ; qui, ne perdant jamais de vue la perfection à laquelle il est obligé de tendre, doit marcher sans cesse dans la voie de Dieu pour y atteindre ; et qui, ne jugeant des choses de la terre que par le rapport qu’elles ont avec l’éternité, s’interdit tout ce qui peut l’attacher au monde, aux créatures, pour ne s’attacher qu’à Dieu. Un chrétien est un homme qui, renonçant du fond de son cœur à tout ce qui flatte les sens, ne doit s’occuper qu’à les mortifier ; qui, ayant fait, comme le saint homme Job, un pacte avec ses yeux, pour ne point les arrêter sur aucun objet qui puisse corrompre la pureté de son âme, doit vivre en ange dans la maison d’argile qu’il habite : un chrétien est un homme dont les oreilles ne doivent entendre que ce qui est bon et édifiant ; qui, tout céleste dans ses pensées, tout spirituel dans ses actions, ne vit que selon Dieu et pour Dieu : un chrétien est un disciple de Jésus-Christ, qui, tout occupé de ce divin modèle, doit le retracer en lui tout entier ; qui adopte la croix pour son partage, qui goûte une vraie joie et une vraie consolation dans les larmes de la pénitence ; qui, toujours armé du glaive de la mortification, pour soumettre la chair à l’esprit, doit combattre sans cesse ses inclinations, réprimer ses penchants : un chrétien est un homme qui, convaincu que tout ce qui est dans le monde n’est, comme le dit saint Jean, que concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie, ne voit dans ces assemblées que périls, dans ces plaisirs que crimes ; et qui, en marchant à travers les créatures, doit craindre d’en être souillé : un chrétien est un homme mort au monde, mort à lui-même, et aussi différent des enfants du siècle que la lumière l’est des ténèbres ; enfin, un chrétien est un autre Jésus-Christ qui le représente, qui l’imite dans toutes ses actions, qui pense comme lui, qui non-seulement s’est engagé à marcher sur ses traces, mais qui a encore juré de ne jamais s’en écarter ; voilà ce que c’est qu’un chrétien. […] Remarquons d’abord que nous avons en nous-mêmes un fond de corruption, que nous portons avec nous une malheureuse concupiscence capable de nous livrer aux plus affreux excès, si on n’a soin de la réprimer, une concupiscence que nous avons promis solennellement de combattre, et à la destruction de laquelle sont attachées les couronnes dont jouissent tant de saints ; une concupiscence que la moindre parole excite, que le moindre objet allume, dont les Hilarion, les Antoine, les Paul ont gémi plus d’une fois ; c’est ce souffle de Satan dont l’apôtre saint Paul priait le Seigneur de le délivrer ; c’est le malheureux apanage de la nature corrompue qui doit coûter tant de violence ; c’est le vieil homme, sur les débris duquel doit s’élever l’homme nouveau, et que nous ne saurions vaincre qu’en mourant sans cesse au péché et à tout ce qui peut nous y porter. […] On n’est pas longtemps à chérir ce que l’on voit représenté avec tant d’art ; le cœur ouvert à la séduction reçoit bientôt le trait qui le blesse ; et tel qui était chaste avant d’entrer au spectacle, n’en sort point sans cesser de l’être.