C’est à ce Spectacle que non-seulement la magnificence, mais le merveilleux même sont absolument nécessaires : il faut qu’il soit tout-à-la-fois le triomphe des Arts, des Talens, & des Dons de la Nature : ainsi Peinture, Architecture, Sculpture, Machinisme, Danse, Voix, Musique, Actricisme, Poésie, tout cela doit y briller, produire l’étonnement, exciter l’admiration, enlever tous les suffrages : la seule chose qui pourrait y être médiocre, serait la Poésie, si d’ailleurs la Pièce était spectaculeuse, la Musique belle, les Décorations bien entendues, le Machinisme précis, le Jeu intelligent, & les Voix parfaites : la raison, c’est que, pourvu que le Poème soient chantant, que les paroles fournissent des situations, & que les vers aient de la douceur, cela suffit pour constituer un corps à la Musique, lui servir de texte, lui tracer les passions qu’elle doit peindre : c’est au Musicien à reveiller la pitié, à causer la terreur, à faire naître la tendresse, à porter l’étonnement dans les âmes, à les pénétrer d’admiration1. […] pourquoi les voit-on chanter pour chanter, ne s’animer jamais* ; jeter, durant l’action des regards distraits, sourire & causer entr’eux, tandis qu’ils ne devraient pas laisser échaper un geste qui n’eût trait à leur personnage ? […] Des Etres fantastiques, tels que les Dieux & les Magiciens, peuvent causer de l’étonnement, exciter l’admiration ou la terreur ; mais jamais ils n’intéresseront : j’imagine, que par cette raison même, la Fable & les Romans merveilleux sont plus propres que l’Histoire à fournir les sujets des Opéras : outre qu’un Poème où de véritables Héros agiraient, est trop fort de choses, il est contre l’idéalité que Cyrus, Artaxerxe, Alexandre agissent, parlent & meurent en chantant : au lieu que n’ayant que des idées extraordinaires des personnages imaginaires, nous leur supposerons plus facilement une manière de s’exprimer tout-à-fait différente de la nôtre : en outre, le Poème n’ayant par lui-même que très-peu d’intérêt relatif, il sera tel qu’il doit, être, pour que le Musicien ait sa tâche tout entière, & ne soit pas réduit à la nécessité de briller tour-à-tour avec le Poète : la Musique chez nous donnera seule le pathétique, & même l’intérêt ; c’est-à dire, que ces affections ne seront que dans la manière de s’exprimer, prêtée par le Musicien à des Etres indifférens par eux-mêmes à l’humaine nature : par ce moyen chaque langage aura sa partie distincte ; le Poète, la pensée, les situations, le tissu de l’action ; le Musicien, le mouvement & l’expression.