Ils ont reconnu des Harpagons dans tous les degrés de l’avarice, et même dans une sage économie : tel fils a insulté et volé son père, parce qu’il lui refusait les choses nécessaires à la vie ; tel autre a manqué au sien, parce qu’il ne voulait rien y ajouter ; celui-ci, adonné aux jeux, aux plaisirs, aux dépenses folles, s’est élevé insolemment contre son père prudent, en qui il voyait un autre Harpagon, parce qu’il lui refusait de l’argent, ne voulant pas contribuer à ses excès : celle-là s’est comportée de même envers sa mère qui, ayant ou prévoyant des besoins plus urgents, lui refusait le prix d’une parure dont elle pouvait se passer, etc. […] Il aurait mieux valu aussi leur rappeler que de bons parents, avant de se révolter et d’en venir à des extrémités fâcheuses contre leurs enfants ingrats et dénaturés, souffrent long-temps, meurent quelquefois de chagrin ; que de bons enfants, qui ont moins droit d’exiger, ne sont pas obligés à moins de combats et d’égards pour leurs parents indifférents et injustes, dont, au reste, l’insensibilité ne résiste pas toujours aux efforts constants de la tendresse, ou du respect filial ; et que probablement leur père se souviendra enfin qu’ils sont ses enfants, s’ils n’oublient pas qu’il est leur père ; et puis ajouter que si, en attendant que l’amour paternel se réveille dans son cœur, ils se trouvent dans le besoin, alors ils doivent penser qu’appartenant à un père disgracié de la nature, il est raisonnable qu’ils s’assimilent aux enfants d’un père disgracié de la fortune, et suivent les exemples qu’ils en reçoivent de se servir soi-même, de se contenter de peu, de ne pas désirer de superflu, de travailler s’il le faut, se rendre utile aux autres, tirer parti de ses talents et de son industrie ; ou de se jeter dans les bras de sa famille, de ses amis, invoquer leur appui. […] Je sens le besoin de rappeler ici cette maxime : Amicus Plato, sed magis amica veritas. […] Ce ne peut être par la raison qu’il en est un plus grand besoin pour les corriger ; il n’est pas permis de penser que les moyens ordinaires de réforme, que la persuasion, les bons exemples, surtout cette patience, cette modération, recommandées envers les fourbes et les méchants, n’agissent pas aussi efficacement sur des hommes profondément pénétrés de l’amour des vertus que sur tout autre ; on use ici de plus de rigueur, on est inconséquent, injuste, par cette raison que j’en ai donnée déjà : que ces inconséquents, ces contre-sens, ou cette forme de leçon dont les effets sont opposés à l’objet du fond est un ressort dramamatique le plus souvent nécessaire pour attacher, égayer et rappeler le public. […] Fut-il jamais une époque à laquelle il y eut plus de familles indigentes, plus de pauvres honteux, qui ont besoin d’un protecteur généreux, d’un ami obligeant, et, à défaut de ceux-là que vous dites vous-même être bien rares, d’un interprète quelconque, d’un voisin hypocrite, d’un tartufe de bienfaisance en un mot, qui fasse connaître leur situation, qui soit du moins l’affiche de leur misère, l’écho de leurs gémissements vis-à-vis des personnes vraiment sensibles et prêtes à leur tendre une main secourable ?