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41. (1665) Observations sur une comédie de Molière intitulée Le Festin de Pierre « Observations sur une comédie de Molière intitulée Le Festin de Pierre » pp. 1-48

Observations sur une comédie de Molière intitulée Le Festin de Pierre Il faut avouer qu’il est bien difficile de plaire à tout le monde, et qu’un homme qui s’expose en public, est sujet à de fâcheuses rencontres : il peut compter autant de Juges et de Censeurs, qu’il a d’Auditeurs et de Témoins de ses actions ; et parmi cette foule de Juges, il y en a si peu d’équitables et de bien sensés, qu’il est souvent nécessaire de se rendre justice à soi-même, et de travailler plutôt à se satisfaire, qu’à contenter les autres. […] Il est vrai qu’il y a quelque chose de galant dans les Ouvrages de Molière, et je serais bien fâché de lui ravir l’estime qu’il s’est acquise : il faut tomber d’accord que s’il réussit mal à la Comédie, il a quelque talent pour la farce, et quoiqu’il n’ait ni les rencontres de Gaultier-Garguille, ni les Impromptus de Turlupin, ni la Bravoure du Capitan, ni la Naïveté de Jodelet, ni la Panse de Gros-Guillaume, ni la Science du Docteur, il ne laisse de plaire quelquefois, et de divertir en son genre : il parle passablement Français ; il traduit assez bien l’Italien, et ne copie pas mal les Auteurs : car il ne se pique pas d’avoir le don d’Invention, ni le beau Génie de la Poésie, et ses Amis avouent librement que ces Pièces sont des « Jeux de Théâtre, où le Comédien a plus de part que le Poète, et dont la beauté consiste, presque toute dans l’action » : ce qui fait rire en sa bouche, fait souvent pitié sur le papier, et l’on peut dire que ses Comédies ressemblent à ces femmes qui font peur en déshabillé, et qui ne laissent pas de plaire quand elles sont ajustées, ou à ces petites tailles, qui ayant quitté leurs patins, ne sont plus qu’une partie d’elles-mêmes. […] Certes, il faut avouer que Molière est lui-même un Tartuffe achevé, et un véritable Hypocrite, et qu’il ressemble à ces Comédiens, dont parle Sénèque, qui corrompaient de son temps les mœurs, sous prétexte de les réformer, et qui sous couleur de reprendre le vice, l’insinuaient adroitement dans les esprits : et ce Philosophe appelle ces sortes de gens des Pestes d’Etat, et les condamne au bannissement et aux supplices. […] puisqu’il avoue lui-même « qu’il n’est rien plus facile que de se guinder sur des grands sentiments, de dire des injures aux Dieux n », et de cracher contre le Ciel.

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