Oui, si j’avais à choisir de tous les siècles passés, je l’avoue bonnement, il n’en est aucun que je préférasse au nôtre : je ne suis pas un seul jour sans me féliciter, d’exister dans un siècle éclairé, de vivre dans un Royaume gouverné par les loix les plus sages & les plus modérées ; dans un pays ou l’humanité respectée, offre des nuances dans les conditions, mais l’égalité dans l’espèce. […] Mais il faut ici distinguer : l’homme sans instruction ne pense que d’après les autres ; il en tire le plus de jugemens qu’il peut, pour s’éviter la peine de les former, par la comparaison & la réflexion : il est à présumer que comme les travaux corporels diminuent la faculté de combiner les idées, & que toute occupation fatiguante abrutit, l’homme de peine aime mieux avoir recours à sa mémoire, que d’exercer sa judiciaire ; il est ravi de trouver des formules toutes faites qui l’en dispensent ; ces formules, outre qu’elles sont universellement reçues, n’exposent pas son amour-propre ; vraies ou fausses, elles sont avouées, & foudroient celui contre qui on les lance.