Enfin, enflammé par tous ces petits commencements, par la présence d’une femme bien faite, qu’il adore, et qui le traite avec beaucoup de civilité, et par les douceurs attachées à la première découverte d’une passion amoureuse, il lui fait sa déclaration dans les termes ci-dessus examinés ; à quoi elle répond, que « bien qu’un tel aveu ait droit de la surprendre dans un homme aussi dévot que lui ». […] Je sais encore qu’on me dira que le vice dont je parle étant le plus naturel de tous, ne manquera jamais de charmes capables de surmonter tout ce que cette comédie y pourrait attacher de ridicule : mais je réponds à cela deux choses ; l’une, que dans l’opinion de tous les gens qui connaissent le monde, ce péché, moralement parlant, est le plus universel qu’il puisse être ; l’autre, que cela procède beaucoup plus, surtout dans les femmes, des mœurs, de la liberté et de la légèreté de notre nation, que d’aucun penchant naturel, étant certain que, de toutes les civilisées il n’en est point qui y soit moins portée par le tempérament que la Française : cela supposé, je suis persuadé que le degré de ridicule où cette pièce ferait paraître tous les entretiens et les raisonnements, qui sont les préludes naturels de la galanterie du tête-à-tête, qui est la dangereuse ; je prétends, dis-je, que ce caractère de ridicule, qui serait inséparablement attaché à ces voies et à ces acheminements de corruption, par cette représentation, serait assez puissant et assez fort pour contrebalancer l’attrait qui fait donner dans le panneau les trois [qu]arts des femmes qui y donnent. […] Quoique la nature nous ait fait naître capables de connaître la Raison pour la suivre, pourtant jugeant bien que si elle n’y attachait quelque marque sensible, qui nous rendît cette connaissance facile, notre faiblesse et notre paresse nous priveraient de l’effet d’un si rare avantage ; elle a voulu donner à cette raison quelque sorte de forme extérieure et de dehors reconnaissable. […] Le Ridicule est donc la forme extérieure et sensible que la providence de la Nature a attachée à tout ce qui est déraisonnable, pour nous en faire apercevoir, et nous obliger à le fuir. […] Or ces premiers instants sont de grande considération dans ces manières, et font presque tout l’effet que ferait une extrême durée ; parce qu’ils rompent toujours la chaîne de la passion et le cours de l’imagination, qui doit tenir l’âme attachée dès le commencement jusqu’au bout d’une entreprise amoureuse, afin qu’elle réussisse : et parce que le sentiment du Ridicule, étant le plus froid de tous, amortit et éteint absolument cette agréable émotion et cette douce et bénigne chaleur qui doit animer l’âme dans ces occasions.