C’est la morale mise en action, ce sont les préceptes réduits en exemples ; la Tragédie nous offre les malheurs produits par les vices des hommes, la Comédie les ridicules attachés à leurs défauts ; l’une et l’autre mettent sous les yeux ce que la morale ne montre que d’une manière abstraite et dans une espèce de lointain. […] Mais quand les plaisirs de la scène nous feraient perdre pour un moment le souvenir de nos semblables, n’est-ce pas l’effet naturel de toute occupation qui nous attache, de tout amusement qui nous entraîne ? […] Les passions dont le Théâtre tend à nous garantir ne sont pas celles qu’il excite ; mais il nous en garantit en excitant en nous les passions contraires ; j’entends ici par passion, avec la plupart des Ecrivains de morale, toute affection vive et profonde, qui nous attache fortement à son objet. […] Mais si avec quelques Philosophes on n’attache l’idée de passion qu’aux affections criminelles, il faudra pour lors se borner à dire, que le Théâtre les corrige en nous rappelant aux affections naturelles ou vertueuses, que le créateur nous a données pour combattre ces mêmes passions. […] Cela est si vrai, qu’au milieu des pleurs que nous donnons à Bérénice, le bonheur du monde attaché au sacrifice de Titus, nous rend inexorables sur la nécessité de ce sacrifice même dont nous le plaignons ; l’intérêt que nous prenons à sa douleur, en admirant sa vertu, se changerait en indignation s’il succombait à sa faiblesse.