Ainsi l’égalité, la force, la constance, l’amour de la justice, l’empire de la raison, deviennent insensiblement des qualités haïssables, des vices que l’on décrie ; les hommes se font honorer par tout ce qui les rend dignes de mépris ; & ce renversement des saines opinions est l’infaillible effet des leçons qu’on va prendre au Théâtre. […] J’en dis autant de l’amour, de la colère, & de toutes les autres passions, auxquelles devenant de jour en jour plus sensibles par amusement & par jeu, nous perdons toute force pour leur résister, quand elles nous assaillent tout de bon. […] Autrement, mon cher Glaucus, comme un homme sage, épris des charmes d’une maitresse, voyant sa vertu prête à l’abandonner, rompt ; quoiqu’à regret, une si douce chaîne, & sacrifie l’amour au devoir & à la raison ; ainsi, livrés dès notre enfance aux attraits séducteurs de la Poësie, & trop sensibles peut-être à ses beautés, nous nous munirons pourtant de force & de raison contre ses prestiges : si nous osons donner quelque chose au goût qui nous attire, nous craindrons au moins de nous livrer à nos premieres amours : nous nous dirons toujours qu’il n’y a rien de sérieux ni d’utile dans tout cet appareil dramatique : en prêtant quelquefois nos oreilles à la Poësie, nous garantirons nos cœurs d’être abusés par elle, & nous ne souffrirons point qu’elle trouble l’ordre & la liberté, ni dans la République intérieure de l’ame, ni dans celle de la société humaine.