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131. (1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien cinquieme. Le danger de la Comedie en particulier, decouvert par le R. P. F. Guilloré de la Compagnie de Jesus. » pp. 67-79

Les matieres, qui s’y traitent, ne sont ordinairement, que d’amour, & de ses intrigues, car le theatre ne plairoit plus, si cette passion n’en faisoit l’ame : L’expression, qu’on en fait, est par la declamation la plus douce, la plus animée, & la plus transportée : L’ajustement d’une Comedienne n’a rien, qui ne respire je ne sçay quoy d’impur, par la nudité de sa gorge, par son geste mol, & affecté, & par son action effeminée. Tout cela, ne sont-ce pas autant de fortes attaques, données par les yeux, & par les oreilles, au cœur des personnes, qui écoutent ce qui se declame, & qui voyent le spectacle d’une comedie, pour y porter des impressions d’amour, en leur amolissant la volonté ; en leur gravant dans l’imagination des images, & des representations moins honnétes ; & en leur laissant dans la memoire des idées, qui ont toûjours quelque chose de sensuel ? […] Mais comme vous pourriez vous retrancher, en me disant deux choses, & que ces pieces ne se joüent pas tous les jours, pour soüiller toûjours le theatre, & que toutes les personnes qui ont plus de Christianisme, ont coûtume de s’en abstenir ; je vous l’accorde, quoy que cela se pourroit assez disputer : Laissons donc ce theatre infame & libertin, pour vous mettre hors de combat : Mais revenons aussi à ce theatre, dont j’ay tantôt parlé, qui ne respire que l’air de l’amour, qui en enseigne si delicatement tous les leçons, & que vous voudriez bien justifier, disant que des bouffonneries impies ne s’y voyent point ; or sachez, que celuy-cy n’est gueres moins dangereux que l’autre. […] C’est à dire, Madame, que le poison est presenté avec bien de la douceur, & dans un vase d’or, & que ce qui avoit coûtume d’offenser les yeux & les oreilles, par une liberté trop effrontée, ayant été banny du Theatre, on y a laissé l’air le plus doux, & le plus empoisonné de l’amour. […] Cela veut dire enfin, que ce n’étoit pas assez au Demon, que les gens d’une conscience toute perduë fussent à luy, par la scandale d’un Theatre infame ; si ceux, que quelque pieté rend recommandables, n’en étoient faits encore les victimes, par le poison inspiré de l’amour, qu’un nouveau Theatre apprend aujourd’huy, plus modestement, mais aussi plus malicieusement, qu’il ne fît jamais.

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