Il est venu m’embrasser, avec un front nuagé, de cet air embarrassément fier, qui semble dire aux gens : Je boude, depeur d’être grondé. […] Observe que ce n’est plus à toi seule que je parle : je prens le ton de nos Auteurs : comme eux j’improuve & je loue ; comme eux, je me donne l’air d’instruire le Sage, qui sourit en silence, & plaint ma témérité ; comme eux, je dirai peut-être plus d’une sotise ; & comme eux sans doute je n’en croirai rien, lors même qu’on me le prouvera. […] Pour rendre cette vérité plus sensible, recourons à l’expérience : Si vous menez au Théâtre des Jeunes-gens que l’air contagieux d’un certain monde n’ait point encore imbus, fût ce à nos Pièces les plus libres, ils néprouveront qu’une joie innocente, un délicieux épanouissement : au contraire, si vous conduisez un cœur gâté au Préjugé-à-la-mode, au Tartuffe, &c. […] Or on ne peut y parvenir qu’en se donnant des Acteurs qui soient pour le Public des objets chéris, que lui-même aurait horreur de corrompre, dont l’innocence & la candeur répandront un vernis d’honnêteté sur un exercice que les mœurs des Histrions ont deshonoré, & que l’air de licence qu’on respire sur les Théâtres actuels n’a que trop souvent rendu funeste.