D’où il arrive que ces vers qui décrivent si finement & si spirituellement ces petites foiblesses, étans prononcés d’une maniere touchante & d’un ton languissant, & accompagnés du geste, de la voix & des autres graces du visage & de l’habit, font bien plus d’impression sur les cœurs, que le stile fade & insipide avec lequel on décrit leurs vertus : & c’est ce qui me conduit insensiblement à ma derniere preuve que je tire des Acteurs, c’est à dire des Comediens, pour vous convaincre que la comedie est effectivement un reste du paganisme, ou si vous aimez mieux, le paganisme pretendu reformé. […] Ces Heretiques qui étoient les sectateurs des anciens Nicolaïtes, & qui étoient si dereglés & si voluptueux, qu’ils auroient mieux aimés renoncer à la vie, qu’au plaisirs, soûtenoient qu’il n’y avoit rien de mauvais dans tous les spectacles des Gentils qui put offencer la Religion chrétienne ; & voicy la raison qu’ils en donnoient, au rapport de Tertullien. […] Oüy, M. c’est dans la comedie ou le monde a renfermé tout ce qu’il a de plus agreable, de plus charmant, de plus beau, & de plus pompeux, pour nous ébloüir, & pour se faire aimer, comme vous verrez dans ma derniere Partie. […] Helas, M. l’auriez-vous jamais crû, que dans l’état present du Christianisme, & que dans des villes bien policées on eût ouvert des écoles publiques pour y enseigner le vice, & pour y corrompre les bonnes mœurs ; comme si la nature gâtée comme elle est, jusques dans son fond, n’étoit pas une assez sçavante maîtresse pour enseigner toutes sortes de vices aux enfans ; cependant c’est ce qui se pratique tous les jours dans la comedie, où l’on enseigne non seulement l’art d’aimer, qui fit bannir autrefois un Poëte de Rome, mais encore l’art de commettre le peché avec esprit, & de conduire une intrigue avec adresse ; d’où il arrive que le poison de l’amour, aussi bien que celuy du plaisir, qu’Arnobe appelle, lenocinia voluptatum , venant à couler par les yeux & par les oreilles de ce jeune homme, & de cette jeune fille, il s’insinuera si avant dans leurs ames & dans leurs cœurs, qu’ils se rendront les veritables Acteurs de la piece, qu’ils ont vû representer par les Comediens, & feront qu’on verra dans le parterre ou dans la ville la scene de ce qui s’est joüé sur le theatre. […] , non dit-il, rien ne me paroissoit plus doux dans la vie, que d’aimer & d’estre aimé ; & c’est pour cela, ajoûte-t-il, que tunc in theatricis congaudebam amantibus ; je me réjoüissois avec ces heureux & fortunés amans de theatre & de comedie, cum sese fruebantur per flagitia , sur tout lors qu’ils pouvoient acheter au prix de plusieurs crimes, le fruit de leur amour ; quamvis hæc imaginarie gererentur in ludo spectaculi , je ne laissois pas de gouter un veritable plaisir dans ces avantures imaginaires.