Voilà les deux points qu’il faut unir dans la comédie ; c’est-à-dire, dans l’imitation des actions, des sentiments, des discours, et dans la peinture des événements, ou agréables, ou fâcheux de la vie humaine ; c’est au ministère à unir toujours ces deux points, de manière que le spectacle, non seulement ne soit jamais nuisible aux bonnes mœurs, mais au contraire qu’il soit propre à inspirer aux spectateurs des sentiments vertueux, ou du moins opposés au vice. […] Il est à propos que le Roi crée une place de premier Poète tragique ou sérieux, et une autre de premier Poète comique, qu’il les nomme d’entre les trois que nommera le Bureau des spectacles, ils seront choisis entre ceux qui auront fait plus de pièces qui soient en même temps plus agréables aux spectateurs et plus utiles aux bonnes mœurs. […] Quand les poètes comiques auront pris soin de jeter de la haine, du mépris, ou du ridicule sur les crimes, sur les vices et sur les défauts que produit ou l’injustice, ou la paresse, ou la vanité, il sera bien plus facile aux Poètes sérieux de mettre en œuvre à l’égard des spectateurs le ressort ou le motif de la belle gloire ; car il faut bien que l’homme marche vers quelque espèce de gloire, ou de distinction entre ses pareils ; c’est son penchant naturel, c’est un de ses grands plaisirs de se sentir distingué parmi ceux avec qui il a à vivre ; ainsi quand les bons Comiques nous auront bien dégoûtés de toutes les sortes de distinctions qui gâtent le commerce, nous marcherons naturellement vers la distinction vertueuse qui naît de l’acquisition des talents et de la pratique des vertus qui rendent le commerce agréable. […] Les spectacles peuvent donc être utiles et agréables, mais il faut qu’ils soient dirigés par une compagnie perpétuelle composée de gens habiles, et surtout de bons politiques sous les ordres du Magistrat de Police, et qu’ils tendent toujours à rendre dans la société la vertu respectable et aimable, les vices honteux et odieux, la vanité méprisable et ridicule ; je demande enfin pour Membres de cette compagnie des connaisseurs délicats, qui sentent combien les bonnes mœurs sont importantes pour augmenter le bonheur de la nation. […] Je crois même qu’ils eussent aperçu et qu’ils eussent condamné dans les ouvrages de Molière un grand nombre d’endroits où quelques sentiments de justice et de bienfaisance sont dans la bouche de gens d’ailleurs odieux et méprisables ; je crois qu’ils auraient remarqué et blâmé des sentiments d’injustice dans la bouche de personnes d’ailleurs aimables et estimables et d’autres endroits où l’injustice jointe à l’adresse et à la finesse est louée, et où la vertu et la justice jointe à des défauts personnels est blâmée ou tournée en ridicule ; et voilà pourquoi il faut une compagnie de Censeurs moralistes et politiques qui ait soin de diriger suffisamment le Poète vers le but de l’utilité publique, tandis que son intérêt le dirige suffisamment vers l’agréable, c’est-à-dire, vers son utilité particulière.