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57. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 10 « Réflexions sur le théâtre, vol 10 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE DIXIEME. — CHAPITRE II. Anecdotes de Théatre.  » pp. 41-71

Benoît XIII lui représenta que puisqu’il n’alloit pas à l’opéra ; il devoit lui être indifférent d’avoir deux loges, l’affaire en demeura là. […] La destinée des Princes & des Princesses des coulisses, est une affaire aussi chaude à Paris, que l’unité des Parlemens à Londres, où le théatre est fréquenté par un peuple immense, de tous les Etats, & n’est fait que pour divertir, & c’est son vrai point de vue. […] Le jour les affaires, les travaux, la compagnie embarrassent ; la nuit tout est libre & calme. […] J’obtins une place à force de crédit, je comptai dès-lors ma fortune assurée ; nous sommes sur le théatre ce que les fermiers-généraux sont dans les finances, la plupart commencent avec rien, nous commençons de même ; ils s’intéressent dans plus d’une affaire, nous n’avons jamais assez d’une intrigue ; ils doivent l’alliance des grands à leurs richesses, nous la devons à nos appas ; ils sacrifient leurs amis à l’intérêt, nous lui sacrifions nos amans ; un trait de plume leur vaut 100000 livres, une faveur accordée nous en vaut quelquefois d’avantage ; ils font des traités captieux, les notres sont équivoques ; le goût du plaisir nous mene à la prodigalité, le faste les rend dissipateurs : deux choses nous différencient, ils s’endurcissent pour thésauriser, nous nous attendrissons pour nous enrichir ; ceux qu’ils ruinent les maudissent, ceux que nous ruinons nous adorent. […] Voici des loteries d’une nouvelle espere ; l’opéra a besoin de quatre cens mille livres, il fait pour les avoir une lotterie où chaque billet gagnera non de l’argent ou des bijoux ; mais un prix fort léger ; des billets d’entrée au spectacle, c’est payer d’avance, comme dans la souscription des livres ; la mort, les maladies, les voyages, les affaires qui empêcheront d’y venir, autant de billets perdus, & c’en est bien la moitié, c’est manger son revenu d’avance, aux dépens des successeurs, qui représenteront gratts si tous les billets sont remplis.

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