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30. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre II.  » pp. 37-67

Pour échauffer des imaginations froides, & faire enfanter des esprits steriles, un moyen presque infaillible seroit par exemple de décomposer un acte de Racine, & de le réduire pour ainsi dire en thême, comme l’auteur l’avoit pu concevoir avant de se livrer à sa verve ; d’en tracer une esquisse comme celle qu’on a conservée d’après Racine même, d’une tragédie d’Iphigénie qu’il n’a jamais achevée. […] C’est pour lui une expression délicieuse, que Crebillon a mieux connu qu’un autre la vraie tragédie, que rien n’approche de la vengeance d’Atrée ; mais que la négligence du stile, la monotonie des plans, son mauvais choix des sujets, dégoutent & inspirent de l’horreur ; que Voltaire lui meme n’est tragique que dans le quatrieme acte de son Mahomet. […] Que ce soit une vertu, ou un crime ; un acte héroïque, ou une bassesse ; que ce soit des Rois, des Ministres, des Guerriers, des Réligieux, comme dans Cominge, Euphemie, Ericie, Melanie. que ce soit un malheur imprévu, ou préparé ; un renversement de fortune ou une mort ; qu’on se la donne ou qu’on la reçoive : qu’elle soit accompagnée de tourment, ou sans douleur, que ce soit haine, ou vengeance, ambition, amour, jalousie, transport ; ou la soi dans les Martirs, la charité pour les malheureux, la discretion, & le silence, ou le hazard des circonstances, &c. […] C’est pour la commodité du spectateur qu’on fait un partage en divers actes, à peu près de même longueur, comme un sermon dont la division en une exorde & deux ou trois parties égales n’est point naturelle, mais nécessaire à la foiblesse de l’auditoire. […] Il faut quelque délassement ; on seroit accablé par une longueur excessive, ou dissipé par de trop fréquentes interruptions, si les actes étoient trop nombreux & trop courts.

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