Quant aux viandes qui ont été immolées aux Idoles, nous n’ignorons pas que nous avons… sur ce sujét asséz de science , nous sçavons asséz, qu’elles ne contractent par cette immolation aucune foüillure, qui les rende immondes, & qui en interdise l’usage : mais la science enfle, & la charité édifie : ainsi il ne faut pas écouter seulement nôtre science, & faire tout ce, qu’elle nous assure être permis ; mais il faut encore consulter la charité, & voir ce qu’elle demande de nous… Quant à ce qui est donc de manger des viandes immolées aux Idoles , cela n’est pas mauvais en soi : … ne vous faites donc pas une peine de ne pouvoir user de la liberté que vous avez de manger de tout : Mais prennez garde, que cette liberté, que vous avez, ne soit aux foibles une occasion de chute , comme elle le pourroit être, si vous vous en serviez en leur présence ; car si l’un d’eux en voit un de ceux qui sont plus sçavans & mieux instruits de la liberté que lui donne l’Evangile, assis à table dans un lieu consacréaux Idoles, ne sera-t-il pas porté lui, qui est encore foible, à manger aussi de ces viandes sacrifiées , & ainsi vous perdrez par vôtre science , & par l’usage que vous en faites, vôtre Frere, qui est encore foible, pour qui Jesus-Christ est mort. […] Je sçai, qu’elle ne m’avouera pas cela : mais qu’elle fasse un peu de reflexion sur son portrait, que je vai tracer ici, & le parallele que je ferai de sa vie, & des maximes de l’Evangile. […] Or les actions, pour être surnaturelles, c’est à dire, saintes & chrétiennes, doivent être faites par le mouvement de la grace de Jesus-Christ, & sur les maximes de l’Evangile : en sorte que les actions d’une vie prédestinée doivent avoir la grace de Jesus-Christ : pour principe, & la doctrine de l’Evangile pour regle. […] J’espere que cette Demoiselle ne prendra pas ce raisonnement comme la prédiction d’un malheur, où je souhaite qu’elle tombe ; mais comme un avertissement de ce qu’elle a à apprehender, & comme le meilleur office que lui puisse rendre un admoniteur prévoiant & zelé, qui s’interesse à son salut, & qui apprehende tout pour elle, & qui ne commencera à esperer, que quand elle commencera elle-même à se défier de sa vie, & à croire que la Comedie est contraire aux maximes de l’Evangile. […] Mais afin que ce Pere n’attire pas sur lui & sur sa Fille les malheurs, que Dieu répand ordinairement sur les Peres, qui par leurs exemples, & par le mauvais usage de leur empire perdent les doux fruits d’un saint Sacrament ; je supplie ce Pere qu’il se souvienne, que la providence Divine ne lui a pas donné cette Fille pour lui, mais pour elle-même ; que, si cette fille est le gage de l’amitié de Madame son Epouse, elle est aussi le fruit du Sang de Jesus-Christ ; que, si elle est noble par sa naissance, elle est Chrêtienne par son Batême ; que cette seconde qualité lui est plus avantageuse, plus necessaire, & plus glorieuse que la prémiere, & qu’ainsi il n’est pas seulement obligé de l’élever en Fille de condition, mais qu’il est encore plus obligé de l’élever en Chrêtienne, & qu’il doit plus travailler à lui inspirer l’esprit de l’Evangile, que l’air, & les manieres du monde.