Cette demande, Messieurs, étoit sans doute bien juste ; & si rien ne nous est plus cher dans la vie, que nos yeux, je ne vois pas ce que cet homme, dans l’état où il étoit reduit, pouvoit demander qui luy fût plus necessaire, Domine ut videam. […] C’est pourquoy j’ay ajoûté, eû égard à nôtre foiblesse & à nôtre experience ; parce que quoyque la corruption du cœur soit commune à tous les hommes, & que le panchant soit une des suites du peché avec lequel nous naissons tous ; ce penchant neanmoins n’est pas également violent dans tous les hommes, & cette foiblesse n’est pas également à craindre dans tout âge, dans tout sexe, & dans toutes sortes d’états ; ainsi ceux à qui une funeste experience n’a que trop appris, qu’ils ne se trouvent jamais dans ces assemblées libres & enjoüées, à ces bals, qui ne sont faits que pour entretenir la galanterie, à ces balets & à ces danses, où l’on ne s’étudie qu’à exprimer par geste, la passion dont on est possedé, ceux qui écoutent avec un singulier plaisir ces airs languissans & passionnez, ces concerts de voix & d’instrumens, où tout ce que la musique a de plus animé, porte jusqu’au cœur les sentimens les plus tendres ; ceux qui sont charmez de ces comedies, où des hommes & des femmes paroissent sur un Theâtre, pour exprimer le plus naturellement & le plus vivement qu’il leur est possible, la plus dangereuse de toutes les passions ; ces personnes, dis-je, me demandent, s’il y a peché grief de voir & d’entendre ce qui excite, & ce qui allume cette passion, à quoy elles n’ont que trop de panchant ; n’est-ce pas demander s’il y a du peché à chercher l’occasion du peché, & à s’exposer au danger de le commettre ? […] Vous me direz qu’au Baptême on n’a renoncé qu’à l’affection & à l’attachement qu’on pourroit avoir aux pompes & aux vanitez du monde ; parce que s’en separer absolument, c’est un état de perfection à quoy Dieu n’oblige pas toutes sortes de personnes : cela est vray ; mais c’est un précepte de s’en separer du moins de cœur & de volonté, d’estime & de desir ; or dites-moy, si vous ne voyez point de danger d’y attacher vôtre affection, en y assistant si volontiers, & en y prenant tant de plaisir ? […] (ce qu’on ne peut douter qui ne soit un état de damnation, aprés l’oracle de la verité même qui nous en assure,) sinon aimer les joyes du monde, l’éclat, la pompe, la vanité, & les divertissemens mondains ? […] Ne me dites point, que vôtre âge, vôtre profession & vôtre état vous mettent à couvert de ce danger ; car cela même est le plus dangereux écueïl où vous puissiez donner, de croire, contre le sentiment de tous les Saints, & contre l’experience de tous les hommes ; que vous n’avez rien à craindre des surprises d’une passion, que les Solitaires mêmes, aprés avoir blanchi dans les austeritez de la penitence, ont crû si redoutable, & qui n’ont pû trouver d’autre moyen de s’en défendre, que la fuite des occasions, & des objets capables de l’exciter.