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16. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre IV. Christine de Suede. » pp. 111-153

Ni le Saint ni le Philosophe ne descendent du trône pour courir le monde en avanturier qui écoute toutes les passions, qui joue toutes sortes de rôles, qui se moque des loix de la décence, ne donne aucune marque de piété, quitta-t-il l’empire du monde, ne grossira jamais la liste des Héros & des Saints ; les éloges dont on comble son libertinage ne peuvent que couvrir de honte ses flatteurs, & la vanité de se faire un mérite d’une démarche forcée, ne peut que couvrir de ridicule celui qui veut prendre l’univers pour dupe. […] Christine forcée de descendre fait un grand discours pour excuser son abdication, pour montrer sa résolution & sa fermeté, & consoler des gens qui s’en réjouissoient, & tous le mouchoir à la main, essuyoient leurs yeux qui n’étoient point mouillés, tandis qu’ils mouroient d’envie de rire & s’épuisoient réciproquement en éloges. […] Elle joua la savante & même la Mecène, d’abord utilement par les bienfaits, tandis qu’elle fut Reine ; enfuite par les éloges quand elle n’eut rien à donner, elle avoit la vanité de vouloir imiter François Ier qui fut en France le protecteur des lettres, & n’en fut pas moins libertin ; il est vrai qu’elle apprivoisa un peu les frimats de la Suède avec les sciences, mais leurs progrès furent bien médiocres & de peu de durée. […] Ce contraste seul en est une, mais à la honte de la Religion aussi déplorable que risible ; un Religieux la complimentant crut beaucoup la louer en lui disant qu’elle seroit mise entre les Saints à côté de Sainte Brigitte, Reine de Suède ; comme elle se moqua de cet éloge assez peu convenable en effet : J’aime mieux , lui dit-elle, être parmi les sages que parmi les Saints. […] Voltaire y pense-t-il de décrier ainsi une Reine dont il fait les plus grands éloges ?

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