Que Molière ait d’abord respecté le goût du Public pour s’en faire écouter, il a bien fait. […] Molière aurait pu comme nos Auteurs d’à présent lui donner beaucoup de finesse, lui faire lancer des madrigaux et des épigrammes très aiguës contre la pédanterie des femmes savantes, mais il était trop grand maître pour cela, il a senti qu’il ne fallait opposer que du bon sens à l’abus de la science et de l’esprit, il a donc fait parler un homme sensé, simple, sans amour et sans galanterie, enfin un homme tel que celui que vous croyez qu’on n’a pas encore osé mettre sur la scène ; écoutez-le pour vous en convaincre. […] Mettez dans une Tragédie ce brave Capitaine Grec en discussion avec ce brutal qui, piqué de n’avoir pas raison, le menaçait de le frapper, croyez-vous qu’on ne l’applaudira pas quand avec un mépris héroïque, il lui dira : « frappe mais écoute »aj ? […] Vous connaissez La Double Inconstance de M. de Marivaux : il ne traite pas dans cette pièce les gens qui se battent par honneur de « bêtes féroces », mais pour les instruire et s’en faire écouter, il s’y prend bien plus joliment : voyez la scène quatrième du troisième acte de cette pièce entre Arlequin et un Seigneur qui lui apporte des lettres de Noblesse . […] La scène d’un jeune homme, d’un caractère doux et bienfaisant, qui cependant, emporté par les fumées du vin, vient de jeter une assiette au visage d’un de ses meilleurs amis, contient des réflexions et en fait faire de si sensées à tous ceux qui l’écoutent ou qui la lisent, qu’on peut présumer que des scènes dans ce goût, et destinées à la même critique, feraient une impression très utile dans le cœur de nos ferrailleurs étourdis.