Une disposition de la Scène plus parfaite encore pourrait avoir lieu dans les Pièces à composer, & même dans quelques-unes de nos anciennes Tragédies ; elle contribuerait infiniment a augmenter la dignité de leur Spectacle : si dans Britannicus, par exemple, la décoration représentait un Palais, dont le portique couvrît l’avant-scène ; qu’un peu sur le côté fût la salle où Néron donne audience à sa mère, à Burrhus ; où il écoute l’entretien de Britannicus avec Junie ; & que cette salle fût ouverte dans ces scènes seulement : que le vestibule où se passe la plus grande partie de l’Action, fût le Proscénion ou le local vide de l’avant-scène ordinaire : qu’un vaste Parascénion ou arrière-scène, formant une Place publique, se découvrît dans la scène qui précède celle du Récit, en ouvrant le fond du portique : que le Spectateur entrevît alors rapidement passer l’Amante du frère de Néron ; qu’il la vît tombante aux pieds de la statue d’Auguste, & sur le champ emportée par une foule ondulante, qui se précipite, qu’on repousse, & dont l’éloignement seul empêche d’entendre les cris ; qu’Albine racontant la consécration de Junie, montrât à Agrippine cette statue d’Auguste, encore environnée de Peuple & de Gardes &c. quelle illusion cette vue ne produirait-elle pas, sur-tout lorsque cet ensemble serait aidé de la majesté d’un Théâtre digne de la Nation ! […] Ces deux choses réunies gênent dans les mouvemens ; elles forcent l’Acteur à demeurer trop longtems dans la même position : mais comme il est indispensable qu’il se fasse entendre, & qu’on distingue sur son visage & dans ses yeux l’effet des passions, je ne vois ici de correction admissible, que pour le lieu qu’occupe le Souffleur, & celle de ces fréquentes échapades, où le personnage d’un Drame laisse-là celui qui l’écoute, pour apostropher du geste & des yeux la foule des Spectateurs : je conseille donc pour le nouveau Théâtre (supposés faits les changemens dans la forme de la Scène proposés plus haut) d’ajouter deux Souffleurs, & quelquefois trois à celui du Proscénion ; de les placer sur les aîles & au fond ; ces Souffleurs, au moyen de la disposition de la Scène, seront invisibles, quoique très-proche des Acteurs ; ils auront l’attention de prendre exactement le ton du personnage ; de sorte, que se trouvant très-éloignés des Spectateurs, il en résultera qu’ils n’en seront jamais entendus. […] Enfin tout le talent d’un bon Comédien ne le met pas à couvert des invraisemblances, lorsque son jeu doit être caché ; c’est la faute de la Pièce, qu’il ne peut corriger de lui-même : on est choqué de voir, dans nos anciennes Comédies, un Acteur au milieu du Théâtre qui en écoute d’autres, sans en être apperçu, quoiqu’il soit tout-à-fait en vue ; souvent ils sont obligés, pour lui tourner le dos de forcer leur position ; on remarque quelquefois qu’ils ont jetté les yeux sur lui, & qu’ils les ont brusquement détournés : Molière qui possédait si bien les Modelemens du Dramatisme & toutes les autres parties de l’économie Théâtrale, donne souvent dans cette invraisemblance ; les Auteurs-Comédiens qui l’ont suivi, ont fait pis encore. […] Si l’on écoute nos jeunes Enthousiastes, les Français n’ont besoin ni de décorations, ni d’Orquestre, ni de Danses.