Mais, après la Réforme, en sera-t-il moins vrai que sur le Théâtre, on ne peut rendre les passions hideuses, parce qu’elles feraient fuir les Spectateurs, & que le vice y sera toujours sous le masque ; Qu’on n’y corrige que le ridicule qui déplaît ; Qu’une satyre bien présente des vices actuels les plus dangereux, y est interdite, par de petites raisons que la crainte & l’orgueil grossissent aux yeux des Grands ; Que les Spectacles sont une école d’arrogance & de persiflage pour la Jeunesse ; Que le Sage ne peut y assister, sans abandonner la sainte sévérité de la Vertu ; que vos Actrices causeront, comme celles d’aujourd’hui, des égaremens, dont elles ne seront pas, à la vérité, toujours l’objet (cela ne serait pas aisé pour tout le monde) mais qui porteront les hommes vers ces Beautés faciles, auprès desquelles ils vont se dépiquer ; que le Spectateur, pour avoir du plaisir, mettra de même ses passions à l’unisson de celles du personage représenté ? […] Dans la Comédie, dont les mœurs ont avec les nôtres un rapport plus immédiat, & dont les personnages ressemblent mieux à des hommes ; tout est mauvais & pernicieux ; tout tire à conséquence pour les Spectateurs ; & le plaisir même du Comique étant fondé sur un vice du cœur humain, c’est une suite de ce principe, que plus la Comédie est agréable & parfaite, plus son effet est funeste aux mœurs… Molière est le plus parfait Auteur comique… mais qui peut disconvenir que ses Pièces ne soient une école de mauvaises mœurs ? […] Je ne crois pas, ma charmante amie, que la force du préjugé vous empêche de comprendre, qu’il n’y aura plus d’infamie attachée à cet état ; Que ce sera le premier des beaux Arts, exercé par des gens libres ; Que le Théâtre deviendra par ce moyen une école de vertu ; Qu’il cessera tout-à-fait d’être dangereux ; Que les passions même que la beauté des Actrices pourra faire naître, n’auront jamais de suite, ou n’en auront que d’heureuses, si elles inspirent de l’amour à leur égal ; que dans le cas contraire, une Actrice paraissant rarement sur le Théâtre, & tous les jours y étant remplacée par d’autres qui la valent, l’impression passagère de ses charmes, sera le lendemain effacée par celle que fera quelqu’une de ses Compagnes ; Que jamais les règles de la plus sévère décence ne seront éludées ; Que des Exercices enfin, que feront en public les Jeunes-gens des deux sexes, en présence de leurs parens & de leurs Concitoyens, où tous pourront prendre part, ne seront jamais, ni deshonorans, ni, bas, ni dangereux ; mais plutôt tout le contraire, & un salutaire encouragement, pour la Jeunesse, à se rendre digne de l’estime & des applaudissemens du Public ; les louanges qu’ils recevront, étant d’autant plus flateuses, qu’elles seront le prix de l’exactitude à remplir tous ses devoirs, aussi bien que des talens* Voyez-vous-là quelque chose qui soit indigne de notre jeune Noblesse ?