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156. (1759) L.-H. Dancourt, arlequin de Berlin, à M. J.-J. Rousseau, citoyen de Genève « CHAPITRE II. De la Tragédie. » pp. 65-91

Ce n’est point la grandeur d’âme qui le porte à se donner la mort, c’est le désespoir, c’est la rage de n’avoir pas réussi dans son affreux projet ; situation de son cœur qu’il peint si bien dans les derniers vers qu’il prononce en faisant encore un effort pour poignarder quelqu’un : « Cruels, qui redoublez l’horreur qui m’environne, Qu’heureusement pour vous la force m’abandonne : Mais croyez qu’en mourant mon cœur n’est point changé. » bv Qui voudrait-il assassiner, ce prétendu grand homme ? […] La compassion seule est la maîtresse de toute âme sensible en pareil cas. […] Je jouissais du temps le plus heureux de ma vie ; le bonheur d’être instruit par M. de Voltaire mettait le comble à ma félicité ; il me fit un envieux, un faquin que nous avions banni de notre société pour des raisons très importantes, faquin que je nommerais s’il vivait encore et s’il n’avait payé de la vie en Hollande son impudence et sa fatuité, eut l’indignité de communiquer à M. de Voltaire cette critique de Nanine en question : il mesurait l’âme de ce grand homme sur la sienne, et s’était imaginé qu’un égarement de jeunesse, une rhapsodie d’enfant allait déconcerter son amour-propre : il arriva tout le contraire. […] En admirant la pièce, personne ne s’avisa cependant de trouver que Mahomet fut justifié par sa grandeur d’âme et sa politique. […] Il faut avoir l’âme bien sanguinaire, le jugement bien faux et le goût bien dépravé pour croire les massacres des gladiateurs un spectacle moins odieux que celui de Mahomet ou d’Atrée : ceux-ci sont dévoués l’un et l’autre à l’exécration publique, les autres étaient dévoués à une curiosité sanguinaire, et au caprice le plus détestable.

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