QUATORZIEME TITRE.
Du Théâtre et Scène.
Les anciens prindrent jadis grand soin à ordonner et dresser les Théâtres, pour autant qu’ils ne pouvaient donner au peuple chose, qui lui fût plus agréable, que de leur représenter et exhiber des comédies, tragédies, spectacles, et jeux publics. Ce qui fut de tel estime, que les Architectes attirés par gros loyers, que les Rois et Princes leur donnaient, ont écrit fort doctement des livres touchant la dimension et ordonnance des Théâtres, de la Scène, et de l’Orchestre. Car afin que la voix des joueurs se pût dilater et épandre, et être ouïe clairement, il fut premièrement
nécessaire, que l’Architecte ayant égard tant à la raison de la Musique, qu’à la dimension de Géométrie, il choisît un lieu propre, afin que de l’échafaud la voix pût distinctement et harmonieusement parvenir jusques aux oreilles des spectateurs.
Il y a des lieux, lesquels de leur nature ou sont sourds, de manière qu’on ne peut bonnement entendre ce qu’on y dit, ou bien sont tellement désaccordants, qu’ils rejettent et repoussent jusqu’au profond la voix, ores qu’elle soit prononcée avec force. Autres reçoivent le son de la voix, de façon qu’étant épandue par tout le lieu, elle s’évanouit tout incontinent et se perd, sans aucune formation ou signification de parole, qu’on puisse entendre. Il y en a d’autres, qui retentissent et résonnent tellement, qu’ils redoublent les derniers mots qu’on a proférés : autres retentissent de manière, que d’une parole ils en font plusieurs. Ce considéré il a été nécessaire, que pour choisir un lieu propre et convenable, pour bâtir et dresser un Théâtre, on se soit montré diligent et industrieux par l’avis et expérience d’un Architecte, pour bien accommoder chacunes parties. Car il était bien requis de regarder soigneusement, que l’échafaud pour les joueurs fût bien dressé, comme aussi l’Orchestre où étaient désignés les sièges des Sénateurs, ou Gouverneurs de la Rep. Les Scènes étaient dressées selon le sujet et argument des fables. Or y avait-il trois manières d’icelles Scènes : à savoir Tragique, Comique, et Satirique. Les lieux de la
Tragique étaient enrichis de Colonnes, Frontispices, Statues, et autres appareils sentant leur Royauté ou Seigneurie. Ceux de la Comique représentaient maisons d’hommes particuliers, ayant leurs fenestrages et ouvertures faites à la mode commune. Ceux de la Satirique étaient ornés d’arbres, Cavernes, Montagnes, Rochers, et pareilles choses rurales. Or chaque Scène avait sa dimension selon l’harmonie du chant, et selon la quantité des Joueurs : ce néanmoins tous ces Spectacles et leurs parties avaient ceci de commun, que les parois n’étaient point ceintes à l’entour de carneaux, mais de corniches et larmiers avancés. Car la voix étant enfoncée en une partie, demeurait quelque peu de temps, avant que elle fût épandue parmi l’air, comme étant retenue du larmier des murailles : et par ainsi parvenait plus doucement aux oreilles des écoutants, et plus clairement, et était beaucoup mieux entendue.
Mais de notre temps il n’est point de besoin, de dresser des Théâtres, d’autant que toutes les farceries, Tragédies et Comédies ne sont plus en usage comme du passé, ains ont été rejetées et bannies des villes, tant pour garder les mœurs honnêtes et vertueuses, que pour la sainteté et révérence de la vraie Religion Chrétienne, laquelle ne permet telles corruptions et déguisements. Par quoi il ne servirait de rien, de parler davantage de l’érection des Théatres, vu mêmement que les vieux se ruinent journellement, et si n’en dresse on plus de nouveaux.