XXXIII.
L'âme ne saurait conserver une véritable piété sans le secours d'une crainte salutaire, qu'elle conçoit à la vue des dangers dont elle est environnée. Elle ne peut ignorer la puissance et la malice de ses ennemis qui font la ronde autour d'elle pour la dévorer, comme parle l'Ecriture. Elle sait, comme dit saint Paulin, que toutes les créatures corporelles qui attirent nos cœurs par l'entremise de nos yeux, sont autant de rets dont le Diable se sert pour nous prendre ; autant d'épées dont il tâche de nous percer le cœur. Elle sait qu'elle marche au milieu de ses ennemis et de mille pièges, et qu'elle y marche sans lumière et sans force, parce qu'elle ne voit que ténèbres dans son entendement, que faiblesse dans sa volonté, que révolte dans ses sens. L'expérience de tant d'âmes qui se perdent à ses yeux, et le dérèglement général qui règne partout, lui fait connaître qu'il n'y a rien de plus rare que la vertu Chrétienne, rien de plus facile que de se perdre, rien de plus difficile que de se sauver. Comment pourrait-elle donc allier avec une crainte si juste des maux effroyables qui la menacent, les vaines réjouissances du monde, et repaître son esprit des chimères dont les Comédies le remplissent ? N'est-il pas visible que comme l'effet naturel de la Comédie est d'étouffer cette crainte si salutaire, aussi l'effet de cette crainte doit être d'étouffer le désir d'un divertissement si inutile et si profane, et de faire conclure à l'âme qu'elle a bien d'autres choses à penser et à faire dans ce monde, que d'aller à la Comédie ; que le temps que Dieu lui donne est trop précieux, pour le perdre malheureusement dans ces vains amusements. De sorte que lorsqu'elle s'y abandonne, il faut que ce soit en s'aveuglant elle-même, en perdant le souvenir de ses dangers, et en étouffant ainsi cette disposition par laquelle le saint Esprit entre dans le cœur, et qu'il y entretient tant qu'il y demeure.