XVIII.
Il ne faut pas s'imaginer que ces méchantes maximes dont les Comédies sont pleines ne nuisent point; parce qu'on n'y va pas pour former ses sentiments, mais pour se divertir: car elles ne laissent pas de faire leurs impressions sans qu'on s'en aperçoive ; et un Gentilhomme sentira plus vivement un affront, et se portera plus facilement à s'en venger par la voie criminelle qui était ordinaire en France, lorsqu'il aura ouï réciter ces Vers:
« Mourir sans tirer ma raison :Rechercher un trépas si mortel à ma gloire ;Endurer que l'Espagne impute à ma mémoireD'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison;N'écoutons plus ce penser suborneur. »
Et la raison en est que les passions ne s'excitent pas seulement par les objets, mais aussi par les fausses opinions dont l'esprit est prévenu. L'opinion que la chimère de l'honneur est un si grand bien qu'il le faut conserver aux dépens même de la vie, est ce qui a produit si longtemps la rage brutale des Gentilshommes de France. Si l'on ne parlait jamais de ceux qui se battent en duel, que comme des gens insensés et ridicules, comme ils le sont en effet ; si l'on ne représentait jamais ce fantôme d'honneur qui est leur idole, que comme une chimère et une folie ; si l'on avait soin de ne former jamais d'image de la vengeance que comme d'une action basse et pleine de lâcheté; les mouvements que sentirait une personne offensée seraient infiniment plus lents. Mais ce qui les rend plus vifs, c'est la fausse impression qu'il y a de la lâcheté à souffrir une injure. Or on ne peut nier que les Comédies, qui sont toutes pleines de ces mauvaises maximes, ne contribuent beaucoup à fortifier cette impression; parce que l'esprit y étant transporté et tout hors de soi, au lieu de corriger ces sentiments s'y abandonne sans résistance, et met son plaisir à sentir les mouvements qu'ils inspirent, ce qui le dispose à en produire de semblables dans l'occasion.