(1675) Traité de la comédie « XVII.  » pp. 297-299
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(1675) Traité de la comédie « XVII.  » pp. 297-299

XVII.

Les gens du monde, spectateurs ordinaires des Comédies, ont trois pentes principales. Ils sont pleins de concupiscence, pleins d'orgueil, et pleins d'estime pour la générosité humaine, qui n'est autre chose qu'un orgueil déguisé. Ainsi les Poètes, qui pour leur plaire doivent s'accommoder à ces inclinations, sont obligés de faire en sorte que leurs pièces roulent toujours sur ces trois passions, et de les remplir ainsi d'amours, de sentiments d'orgueil, et des maximes de l'honneur humain. C'est ce qui fait qu'il n'y a rien de plus pernicieux que la Morale Poétique et Romanesque, parce que ce n'est qu'un amas des fausses opinions qui naissent de ces trois sources, et qui ne sont agréables qu'en ce qu'elles flattent les inclinations corrompues des lecteurs, ou des spectateurs. Et c'est de là que vient le plaisir que l'on prend à ces vers, qu'un grand Poète de ce temps met en la bouche d'un jeune homme après avoir tué en duel celui qui avait outragé son père.

« Car enfin n'attends pas de mon affection
Un lâche repentir d'une bonne action.
Tu sais comme un soufflet touche un homme de cœur.
J'avais part à l'affront, j'en ai cherché l'auteur.
Je l'ai vu, j'ai vengé mon honneur et mon père.
Je le ferais encor, si j'avais à le faire. »

C'est par la même corruption d'esprit qu'on entend sans peine ces horribles sentiments d'une personne qui veut se battre en duel contre son ami, parce qu'on le croyait auteur d'une chose, dont il le jugeait lui-même innocent.

« C'est peu pour négliger un devoir si pressant,
Que mon cœur en secret vous déclare innocent.
A l'erreur du public c'est peu qu'il se refuse.
Vous êtes criminel dès là qu'on vous accuse.
Et mon honneur blessé sait trop ce qu'il se doit
Pour ne vous pas punir de ce que l'on en croit.
Telle est de mon honneur l'impitoyable loi,
Lorsqu'un ami l'arrête, il n'a d'yeux que pour soi;
Et dans ses intérêts toujours inexorable,
Veut le sang le plus cher au défaut du coupable. »

On écoute avec plaisir ces paroles barbares d'un père à un fils, à qui il donne charge de le venger.

« Va contre un arrogant éprouver ton courage.
Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage.
Meurs ou tue. »

Et cependant en les considérant ces sentiments selon la raison, il n'y a rien de plus détestable. Mais on croit qu'il est permis aux Poètes de proposer les plus damnables maximes pourvu qu'elles soient conformes au caractère de leurs personnages.