(1675) Traité de la comédie « XII.  » pp. 291-292
/ 1079
(1675) Traité de la comédie « XII.  » pp. 291-292

XII.

Le plaisir de la Comédie est un mauvais plaisir, parce qu'il ne vient ordinairement que d'un fond de corruption, qui est excité en nous par les choses que l'on y voit. Et pour en être convaincu, il ne faut que considérer, que lorsque nous avons une extrême horreur pour une action, on ne prend point de plaisir à la voir représenter : et c'est ce qui oblige les Poètes de dérober à la vue des spectateurs tout ce qui leur peut causer cette horreur. Quand on ne sent donc pas la même aversion pour les folles amours, et les autres dérèglements qu'on représente dans les Comédies, et qu'on prend plaisir à les regarder, c'est une marque qu'on ne les hait pas, et qu'il s'excite en nous je ne sais quelle inclination pour ces vices, qui naît de la corruption de notre cœur. Si nous avions l'idée du vice dans sa naturelle difformité, nous ne pourrions pas en souffrir l'image. C'est pourquoi un des plus grands poètes de ce temps remarque qu'une de ses plus belles pièces n'a pas été agréable sur le Théâtre, parce qu'elle frappait l'esprit des spectateurs de l'idée horrible d'une prostitution à laquelle une sainte Martyre avait été condamnée. Mais ce qu'il tire de là pour justifier la Comédie, qui est que le Théâtre est maintenant si chaste que l'on n'y saurait souffrir les objets déshonnêtes, est ce qui la condamne manifestement. Car on peut apprendre de cet exemple que l'on approuve en quelque sorte tout ce que l'on souffre et que l'on voit avec plaisir sur le Théâtre; puisqu'on ne peut souffrir ce que l'on a en horreur. Et par conséquent y ayant encore tant de corruptions, et de passions vicieuses dans les Comédies les plus innocentes, c'est une marque qu'on ne hait pas ces dérèglements, puisqu'on prend plaisir à les voir représenter.