XX.
Le Chrétien ayant renoncé au monde, à ses pompes et à ses plaisirs, ne peut pas
rechercher le plaisir pour le plaisir, ni le divertissement pour le divertissement. Il
faut afin qu'il en puisse user sans péché, qu'il lui soit nécessaire en quelque manière,
et que l'on puisse dire véritablement qu'il s'en sert avec la modération de celui qui en
use, et non avec la passion de celui qui l'aime : « Utentis modestia, non amantis
affectu.
» Or comme la seule utilité du divertissement est de renouveler les
forces de l'esprit et du corps, lorsqu'elles sont abattues par le travail; il est clair
qu'il n'est permis de se divertir tout au plus, que comme il est permis de manger.
Il est aisé de conclure de là que ce n'est point une vie chrétienne, mais une vie
brutale et païenne, de passer la plus grande partie de son temps dans le
divertissement, puisque le divertissement n'est pas permis pour soi-même; mais seulement
pour rendre l'âme plus capable de travail. Car si personne ne doute que ce ne fût une
vie très criminelle que celle d'un homme qui ne ferait que manger, et qui serait à table
depuis le matin jusqu'au soir ; ce que le Prophète condamne par ces paroles :
« Vae qui consurgitis mane ad ebrietatem sectandam, et potandum usque ad
vesperam
» ; il est facile de voir que ce n'est pas moins abuser de la vie que
Dieu nous a donnée pour le servir, que de la passer toute dans ce qu'on appelle
divertissement ; puisque le mot même nous avertit qu'on ne le doit rechercher que pour
nous divertir et nous distraire des pensées et des occupations laborieuses, qui causent
dans l'âme une espèce de lassitude qui a besoin d'être réparée.
Cela suffit pour condamner la plupart de ceux qui vont à la Comédie. Car il est visible qu'ils n'y vont pas pour se délasser l'esprit des occupations sérieuses, puisque ces personnes, et particulièrement les femmes du monde, ne s'occupent presque jamais sérieusement. Leur vie n'est qu'une vicissitude de divertissements. Elles la passent toute dans des visites, dans le jeu, dans les bals, dans les promenades, dans les festins, dans les Comédies. Que si elles ne laissent pas de s'ennuyer, comme elles font souvent, c'est parce qu'elles ont trop de divertissement, et trop peu d'occupation sérieuse. Leur ennui est un dégoût de satiété pareil à celui de ceux qui ont trop mangé; et il doit être guéri par l'abstinence, et non par le changement des plaisirs. Elles se doivent divertir en s'occupant, puisque la fainéantise et l'oisiveté est la principale cause de leurs ennuis.