JUGEMENT DE M. DE VOLTAIRE, SUR LES SPECTACLES.
Saint Thomas d’Aquin, dont les mœurs valaient bien celles de Calvin et du Père Quesneli, Saint Thomas, qui n’avait jamais vu de bonnes Comédies, qui ne connaissait que des malheureux Histrions, devina pourtant que le Théâtre peut être utile : il eut assez de bon sens et de justice pour sentir le mérite de cet art, tout informe qu’il était : il le permit, et il l’approuva. Saint Charles Borromée examinait lui-même les Pièces qu’on jouait à Milan, il les munissait de son approbation et de son seing.
Qui seront après cela les Wisigoths qui voudront traiter d’empoisonneurs Rodrigue et Chimène ? plût au Ciel que les barbares ennemis du plus beau des arts, eussent la piété de Polyeucte, la clémence d’Auguste, la vertu de Burrhus, et qu’ils finissent comme le mari d’Alzire !
Je regarde la Tragédie et la Comédie comme des leçons de vertu, de raison et de bienséance. Corneille, ancien Romain parmi les Français, a établi une école de grandeur d’âme, et Molière a fondé celle de la vie civile. Les génies Français formés par eux appellent du fond de l’Europe les Étrangers qui viennent s’instruire chez nous, ce qui contribue à l’abondance de Paris : nos pauvres sont nourris du produit de ces ouvrages, qui nous soumettent jusqu’aux nations qui nous haïssent : tout bien pesé, il faut être ennemi de sa patrie pour condamner nos Spectacles.
J’ai toujours pensé que la Tragédie ne doit pas être un simple spectacle, qui touche le cœur sans le corriger : qu’importe au genre humain les passions et les malheurs d’un Héros de l’Antiquité, s’ils ne servent pas à nous instruire.
La véritable Tragédie est l’école de la vertu ; et la seule différence qui soit entre les Théâtres épurés et les livres de morale, c’est que l’instruction se trouve dans la Tragédie toute en action, c’est qu’elle y est intéressante, et qu’elle se montre relevée des charmes d’un art qui ne fut inventé autrefois que pour instruire la Terre et pour bénir le Ciel, et qui par cette raison fut appelé le langage des Dieux.
Rien ne rend les hommes plus sociables, n’adoucit plus les mœurs, ne perfectionne plus leur raison, que de les rassembler pour leur faire goûter ensemble les plaisirs purs de l’esprit.
Les mêmes esprits qui bouleverseraient un Etat pour établir une opinion souvent absurde, anathématisent les plaisirs innocents, nécessaires à une grande ville, et des Arts qui contribuent à la splendeur d’une nation : l’abolition des Spectacles serait une idée plus digne du siècle d’Attila, que du siècle de Louis XIV.
C’est une des contradictions de nos mœurs, que d’un côté on ait laissé un reste d’infamie attaché aux Spectacles publics, et que de l’autre on ait regardé les représentations comme l’exercice le plus noble et le plus digne des personnes Royales.
Si on trouvait dans l’Antiquité un Poème comme Armide ou comme Atys, avec idolâtrie il serait reçu ; mais Quinault était modernej.
Sentiment de Michel Montaigne, Ch. V. de la société.
Il n’est point de si doux apprêt, ni de sauce si appétissante que celle qui se tire de la société.
Qui a ses mœurs établies en règlement au-dessus de son siècle : ou qu’il torde et émousse ses règles : ou, ce que je lui conseille plûtot, qu’il se retire à quartier, et ne se mèle point de nous. Qu’y gagnera-t-il ? On peut regretter les meilleurs temps : mais non pas fuir aux présents….
Pourquoi sans nous émouvoir, rencontrons-nous quelqu’un qui ait le corps tordu et mal bâti, et ne pouvons souffrir le rencontre d’un esprit mal rangé, sans nous mettre en colère ? Cette vicieuse apreté tient plus au juge qu’à la faute….
La moyenne région loge les tempêtes : les deux extrêmes des hommes philosophes, et des hommes ruraux, concourent en tranquillité et en bonheur.