(1694) La conduite du vrai chrétien « ARTICLE VI. » pp. 456-466
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(1694) La conduite du vrai chrétien « ARTICLE VI. » pp. 456-466

ARTICLE VI.

S’il n’est point permis de se recréer et divertir les jours de Fêtes et Dimanches
(…)

[...]

Quels sont les divertissements ordinaires de la plus grande partie des chrétiens pendant les Dimanches et les Fêtes.

Il me semble qu’on peut réduire ces divertissements à cinq principaux, à savoir, les théâtres et comédies, le jeu, les régals, la chasse, et les visites : ce sont-là, à mon avis, les seuls divertissements de la plupart des Chrétiens pendant les jours des Dimanches et des Fêtes. Reste donc à examiner si ces sortes de divertissements sont licites, et s’ils ne sont point accompagnés de circonstances et défauts qui les rendent illicites et condamnables ; et pour cet effet considérons-les, et les regardons dans l’esprit, et selon la règle des plus saints hommes qui nous aient précédés.

Des Théâtres.

J’ai déjà parlé des spectacles, théâtres et comédies, et je croirais avoir assez dit, pour n’y devoir rien ajouter, si la matière dont il s’agit ne m’y engageait, et si le mal que traînent après eux les théâtres, ne m’y forçait, vu même que c’est ce malheureux et funeste divertissement après lequel courent les Chrétiens d’aujourd’hui, et à quoi ils emploient la plus grande partie des Fêtes et des Dimanches. J'ai marqué ci-devant, en parlant de la comédie, qu’il y en avait d’honnêtes, et éloignées de toutes paroles et actions malfaisantes, auxquelles on pourrait assister, supposé que quelques circonstances ne dussent pas s’y opposer. C’est donc des spectacles infâmes où l’on ne voit, et on n’entend que postures méfiantes et déshonnêtes, et paroles équivoques, quelquefois même brutales, dont j’ai eu dessein de parler ; et c’est encore sur ceux-là mêmes sur lesquels, mon cher Lecteur, je veux vous faire entendre derechef les sentiments de ceux qui les ont regardés dans l’esprit de Dieu.

Le Saint Evêque de Marseille, Salvian, parlant des spectacles, dans le sixième livre qu’il a fait du gouvernement de Dieu, est fort éloigné de les faire passer pour divertissements, puisqu’il les condamne avec tant de chaleur : voici ses propres termes : « Aller aux théâtres, dit ce Saint, est une espèce d’apostasie de la foi, une prévarication mortelle de ses Symboles et célestes Sacrements » : car, de grâce, quelle est la première confession que font les Chrétiens, lorsqu’ils sont admis au Sacrement salutaire du Baptême, si ce n’est dire et protester, qu’ils renoncent au diable, à ses pompes, aux spectacles que tu reconnais et confesses être des œuvres du diable ? Tu as une fois renoncé au diable et à ses spectacles ; ainsi il s’ensuit nécessairement qu’allant aux spectacles à dessein et de propos délibéré tu retournes en effet à ton premier maître qui est le diable : car ayant en même temps renoncé à tous les deux, et ayant dit et reconnu que le diable et ses pompes n’étaient qu’une même chose ; retournant vers l’un, tu retournes aussitôt vers l’autre : car je renonce, dis-tu, au diable, à ses pompes, aux spectacles et à ses œuvres, et après cela, tu dis, je crois en Dieu le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ son Fils. Pour donc croire en Dieu, on renonce auparavant au diable, parce que qui ne renonce point au diable, ne croit point en Dieu : d’où il s’ensuit que celui-là quitte Dieu qui retourne au diable. Or le diable se trouve dans ces spectacles, et parmi ces pompes ; de sorte que retournant aux spectacles, nous faisons banqueroute à la foi de Jésus-Christ. C’est donc par ce moyen que tous les mystères du Symbole sont ruinés dans nos cœurs , et après avoir sapé ce premier fondement de notre créance, tout ce qui suit des autres vérités du Symbole menace ruine dans nos esprits : et un peu après, ce même Saint ajoute : s’il y a donc quelqu’un qui s’imagine que de se trouver aux spectacles ne soit qu’une faute légère, qu’il considère attentivement tout ce que nous venons de dire, et qu’il prenne bien garde que le plaisir et le contentement ne se trouve pas aux spectacles, mais la mort ; et quelques lignes après il dit, qu’est-ce qu’on remarque de semblable chez les Infidèles et chez les Barbares ? y voit-on des jeux de cirques ? où sont leurs théâtres ? où est cet assemblage, et cet amas criminel de diverses impuretés et débauches, c’est-à-dire, la désolation et le renversement de notre espérance et de notre salut : et encore que ces choses fussent en usage parmi eux, pendant qu’ils vivaient dans les ténèbres du Paganisme, ils étaient toutefois bien moins criminels, n’étant point coupables de prévarication contre une chose sainte et sacrée, ni une injure faite au Sacrement et contre son caractère : mais pour nous, comment pouvons-nous nous défendre, vu que nous confessons et publions que nous renonçons au don précieux et incomparable du salut, et qui fait qu’on nous peut justement reprocher, et demander où est notre Christianisme ? Où paraît en nous, cette sainte, auguste et irrépréhensible Religion ? de sorte qu’on pourrait à bon droit nous objecter, qu’il semble que nous ne recevions le Sacrement de salut, que pour rendre notre offense plus griève [grave] et plus criminelle, que quand nous vivions encore dans le Paganisme : car nous préférons les jeux publics, aux Eglises, nous méprisons les Autels, et autorisons par notre présence les théâtres.

Le même Salvian ajoute encore un peu après, je demande à la conscience de tous, où est-ce qu’il y a plus grand abord de Chrétiens, ou bien aux amphithéâtres où on reprenne les jeux publics, ou bien aux lieux destinés au culte et à l’honneur de Dieu ? Nous laissons Jésus-Christ sur l’Autel, pour repaître nos yeux adultères par les regards très impudiques de l’incontinence, et de la licence à recevoir un tas de sales objets que l’on représente dans ces jeux.

Après ce saint Evêque, je vous prie, mon cher Lecteur, d’entendre Tertullien, sur les sentiments que les Chrétiens de son temps avaient de ces sortes de divertissements ; voici comme il en parle : « Pour bien faire connaître, dit-il, qu’est-ce que le théâtre, et en déclarer l’essence, on peut dire que c’est le temple de Vénus, où la volupté est traitée, estimée, honorée et adorée comme une divinité ; c’est la citadelle ou le fort où toutes sortes d’impuretés se pratiquent avec toute licence et effronterie » : ensuite de quoi il rapporte un exemple d’une femme chrétienne, dans le corps de laquelle le diable entra, pendant qu’elle assistait aux spectacles : car comme on faisait les exorcismes pour chasser cet hôte cruel, le chargeant de malédiction de ce qu’il avait été si cruel, que d’entreprendre sur une personne fidèle, il répondit toujours, ‘Dieu l’a ainsi permis, pour rendre témoignage de l’abomination de ces lieux infâmes, et quand j’en ai ainsi usé, ça a été avec justice, l’ayant trouvée sur ma terre, et dans un lieu où je suis le Seigneur et le maître’.

Je n’en veux pas dire davantage sur ce sujet, en ayant parlé ci-devant assez amplement, joint que les deux Auteurs que je viens de produire, Salvian et Tertullien s’en sont suffisamment expliqués, pour faire connaître à un chacun que les spectacles et les théâtres ne doivent jamais passer chez les vrais Chrétiens pour divertissements, puisqu’ils traitent ceux qui y assistent d’apostats, de prévaricateurs des Sacrements, de gens qui retournent vers le diable leur premier maître, qui préfèrent le démon à Dieu, qui font banqueroute à la foi de Jésus-Christ, qu’ils sont plus criminels que les païens, qu’ils sont sans Religion, qu’ils ne cherchent qu’à repaître leurs yeux adultères ; gens enfin qui se jettent volontairement dans le fort et la citadelle où se commettent toutes sortes d’impuretés. Dites-moi, de grâce, mon cher Lecteur, oseriez-vous après cela baptiser les théâtres et les spectacles, de récréations et de divertissements ? ne confesserez-vous pas au contraire, que c’est par là que l’on profane les Dimanches et les Fêtes, en quittant criminellement les Eglises et les Autels, comme parle Salvian, pour aller aux jeux publics, et autoriser les théâtres.