ARTICLE V.
Qui sont ceux qui pèchent contre la sanctification des Dimanches et des Fêtes, bien qu’ils y aient entendu la Messe, et se soient abstenus du travail
[...]
Des Bateleurs, Comédiens, et Tabarins.
Hélas ! en quel malheureux siècle sommes-nous, on ne commet pas seulement le crime ; mais on l’enseigne ? que peut-on dire de plus déplorable ? On apprend l’adultère en le voyant ; et avec la douceur de l’autorité publique, la personne qui était entrée chaste à la comédie, s’en retourne chez elle toute impudique.» C'est donc l’autorité des Magistrats qui concourt à ces grands maux, et à la perte des âmes, par la permission et le consentement qu’ils donnent à ces farceurs et bateleurs : c’est leur permettre d’arracher les âmes d’entre les mains de Dieu, pour les rendre les esclaves du diable. Si donc 1a maxime de S. Grégoire demeure constante, comme il n’y a pas lieu d’en douter, que celui qui peut empêcher le crime, et ne l’empêche pas, se rend coupable du même crime : qui pourra exempter Messieurs les Gens du Roi, de tous les péchés que commettent et font commettre dans leur Ville, ces sortes de gens ; vue que non seulement ils le peuvent empêcher, mais de plus qu’ils y sont obligés par leurs Charges ? Qu’ils ne nous allèguent point que ces gens là ont la permission du Prince : s’il connaissait que toute leur intention n’est que pour tirer de l’argent de ses sujets, et pour cela se servir des moyens les plus infâmes ; il ne leur accorderait jamais cette permission. Mais pour faire voir que ce n’est qu’un prétexte de la part des Magistrats ; combien y a-t-il de Juges et autres Gens du Roi, qui ne les ont jamais voulu souffrir dans leur Ville, et qui n’ont pas pu voir qu’à la sortie de la Messe, des Vêpres, ou du Sermon, on trouvât un Théâtre dressé, comme un Autel pour le Diable, contre Jésus-Christ, pour détruire en une heure de temps tous les bons sentiments que les Prédications avaient fait naître dans les âmes pendant toute une semaine. Cependant qu’en est-il arrivé à ces Juges Chrétiens, sinon la bénédiction des gens de bien ? Il ne faut donc qu’un peu de vrai Christianisme ; il ne faut qu’un peu de zèle pour son salut et pour celui des autres, afin de bannir ces ennemis de la vertu et de l’honnêteté : que Messieurs les Magistrats se donnent la peine d’entendre le Saint Esprit, qui leur parle et qui leur crie, «
apprenez Juges, ouvrez, les oreilles, vous qui tenez sous votre autorité, les multitudes, et qui vous plaisez dans les pouvoirs que vous avez sur les Troupes, apprenez deux choses, la premières que toute votre puissance vient de Dieu, la seconde que ce même Dieu vous demandera compte de toutes vos œuvres, et fondera jusqu’à la moindre de vos pensées, par la raison que vous ayant établi les Ministres de son Royaume, vous n’avez point observé la Loi de la Justice ni marché selon sa volonté : ce qui fait qu’en peu de temps il vous apparaîtra d’une manière terrible, et vous fera demeurer d’accord que le jugement contre ceux qui président aux autres, sera effroyable» : Que répondra donc à Dieu le Juge qui aura contribué à la perte des âmes, par la permission injuste qu’il aura donnée à ces persécuteurs de la vertu ? n’aura-t-il point assez à faire à rendre compte de ses propres péchés, sans se voir obligé à rendre raison de ceux des autres ? N’est ce pas aussi pour cela, Messieurs les Magistrats, que le Saint Esprit vous dit par la bouche du Prophète, «
jusqu’à quand jugerez-vous injustement, et aurez-vous égard à la personne des pécheurs ?» Je sais bien que quelques-uns entendent cette répréhension, de la criminelle conduite des Juges, lesquels pour asseoir leurs Jugements, n’envisagent ni la Loi, ni le mérite de la cause ni leur propre conscience, mais seulement la qualité des personnes : si c’est un homme puissant dont ils puissent attendre du service, un ami qu’ils veulent obliger, un parent pour le favoriser, ou quelque autre dont on espère de la gratification : mais je n’ignore pas aussi, que ces paroles, «
jusqu’à quand aurez-vous égard à la personne des pécheurs», ne doivent être expliquées que de l’injustice que commettent ces Messieurs, donnant leur consentement et leur approbation à des pécheurs publics, tels que sont pour l’ordinaire ceux qui tiennent le Théâtre, et qui ne trouvent leur accommodement, que dans la perte des autres. Si Dieu ordonne aux Juges par la bouche du même Prophète de prendre le parti des pauvres, contre l’oppression des méchants, et si pour leur infidélité à cet ordre, il dit, que «
les fondements de la terre sont ébranlés», c’est-à-dire, les Provinces et les Royaumes dans le trouble et le renversement, par l’occasion que leur faiblesse ou leur lâcheté donne à l’insolence, aux vols, aux pillages, et aux meurtres, appuyés sur l’espérance de l’impunité ; que leur dira-t-il, s’il se trouve que non seulement ils aient été l’occasion de la perte des âmes, mais qu’ils y aient actuellement contribué, comme en effet ils y contribuent, puisque c’est par leur ordre que les Théâtres sont dressés, que ceux qui corrompent les mœurs, y paraissent effrontément, et que Dieu y est outragé publiquement et impunément : qui pourra, je vous prie, mettre à couvert les Juges de si grands maux, vu que c’est leur criminelle tolérance qui en est la source ?
Je remarque encore deux choses bien considérables, que le Prophète adresse aux Juges :
la première est quand il les appelle « des Dieux et les fils du
Souverain
» : et la seconde, lors qu’il leur dit, « qu’ils mourront comme
des hommes
» : car par les premières paroles, il leur représente
qu’ils sont revêtus de la puissance de Dieu ; que c’est de lui seul qu’ils tiennent
leur autorité sur les autres, et qu’ils sont enfants de Dieu non seulement par adoption,
comme le reste des hommes, en tant que unis à Dieu par la foi et par la grâce, mais
encore par leur établissement dans leurs Charges, par celui qui est le seul et vrai
Dieu, au pouvoir duquel ils participent. Or si le Prophète appelle les Juges,
« des Dieux, et les enfants de Dieu
», n’est ce pas pour les engager
doucement et agréablement à se conduire dans l’exercice de leurs Charges chrétiennement,
saintement de sans reproche ; puisque ce serait une chose tout à fait honteuse, que des
personnes si élevées et qui portent des qualités si glorieuses, se laissassent aller à
des injustices, qui leur fissent changer leur nom de Dieux, en celui d’Antéchrists ?
car, de grâce, quelle est la pratique, quelle est la fin, quel est le fruit de ces gens
qui paraissent sur les Théâtres, sinon les mêmes que l’Ecriture marque de cet homme de
perdition, et dont ils sont les avant-coureurs, à savoir d’arracher les âmes d’entre les
mains de Dieu, pour les faire les
esclaves de Satan, par la liberté que
Messieurs les Juges leur ont donnée ?
« Vous mourrez comme des hommes
», ajoute le Prophète parlant aux Juges,
comme s’il disait, vous ne mourrez pas comme Juges, comme Pasteurs et Supérieurs des
autres, mais comme hommes qui n’aurez aucune autorité non plus que le dernier des
mortels, et qui serez traités avec toute sorte de mépris, de confusion et de peines,
parce que la grandeur du châtiment se prendra de la grandeur des grâces que vous aurez
reçues : le haut rang que vous tenez dans le monde ne vous exemptera ni de la mort, ni
du jugement, ni des tourments qui sont préparés à ceux qui président, et qui ont abusé
de leur autorité, comme font les Juges qui préfèrent la satisfaction d’un Tabarin, d’un
Jodelet, et d’un faquin, à la gloire de Dieu, à l’honneur de son Eglise, et au salut des
âmes qui sont le prix du Sang de Jésus-Christ : Pensez-y, Messieurs, il y va de vôtre
éternité.
De l’assistance aux Théâtres
Ce ne sont pas seulement les gens du commun qui assistent aux spectacles pour y entendre les Comédiens, ou les Bateleurs ; mais aussi le plus souvent les personnes de condition, sans se mettre en peine s’ils violent les jours dédiés à Dieu, se persuadant, comme j’ai dit, qu’il leur suffit d’avoir entendu la sainte Messe, et de s’être abstenus du travail, pour bien célébrer ces saints jours : ce qui fait qu’ils ne font aucun scrupule de se rendre aux théâtres et aux farces publiques pendant ces célébrités. Je sais bien qu’il ne leur est pas plus permis de s’y rencontrer les autres jours ; mais je marque ici particulièrement les Dimanches et les Fêtes, pour satisfaire au sujet que je traite, comme aussi parce que c’est ces saints jours qu’on emploie plus ordinairement à ces pernicieux divertissements. Ce que je viens de dire touchant Messieurs les Gens du Roi, qui souffrent les Bateleurs et Comédiens, devrait suffire pour détourner un chacun de ces honteuses assemblées : cependant pour ne rien omettre dans une matière si importante, et où il y va tant du salut, je veux y ajouter quelque chose en faveur de ceux qui peut-être ne connaissent pas assez à quel étrange péril de leur salut ils s’engagent, en assistant à ces spectacles.
tels spectacles d’adultères, d’homicides, de larcins, lubriquement et salement représentés, sont pernicieux et sacrilèges , et que souvent telle femme qui était allée pudique aux spectacles, en retourne impudique» : Tertullien ne doit rien sur ce sujet à saint Cyprien ; car si nous lui demandons qu’est-ce que le Théâtre ? il nous répondra en propres termes, que «
c’est le temple des Diables». Il ne faut donc pas douter qu’ils n’y président, puis qu’il leur est dédié, et que ce qui s’y fait ne leur soit très agréable. C’est pour cela que saint Augustin dit, que «
donner de l’argent aux Bateleurs est un vice cruel et détestable». Le même Tertullien que je viens de citer, parlant de la scène et de l’échafaud des Farceurs, l’appelle «
la sacristie de Vénus, le consistoire de l’impudicité, l’arsenal de toute vilenie, qui prend sa grâce et sa gaité, de l’ordure et de la saleté», parce que la voix des Bateleurs, leurs gestes et leurs habits de parade, allument des étincelles de lubricité dans le cœur de ceux qui les écoutent et qui les regardent.
la boutique commune de la luxure, le collège public de l’incontinence, l’échafaud de l’impudicité, et la fournaise de Babylone» : Lactance Firmien Précepteur de Crispe fils du Grand Constantin, dans son Livre des divines institutions, parlant des Bateleurs, dit «
qu’ils débitent une discipline de corruption». Si je ne craignais point de faire trop de confusion à ces Bourgeoises, à ces Demoiselles et Dames qui ont tant d’inclination pour les spectacles, lesquelles plaignent bien moins vingt ou trente sols pour les Farceurs, qu’elles ne font un double qu’elles donnent assez rarement à un pauvre ; je leur ferais encore entendre saint Cyprien, lequel parlant des exercices des bateleurs, les nomme «
un lieu infâme, publici pudoris lupanarium», où l’on perd la pudeur et la pudicité, «
l’école et la maîtresse de toute impudicité» : Saint Augustin sur les Psaumes, parlant des spectacles, les appelle «
les greniers de l’impudicité». Après tous les sentiments de ces grands et saints personnages, dites-moi, je vous prie, Messieurs les Gentilshommes, dites-moi, je vous prie, Mesdames, Bourgeois, Bourgeoises, qui que vous soyez, n’aurez-vous point d’horreur désormais de passer les après-dînées entières dans ces assemblées si pernicieuses, pour y perdre votre argent, votre temps, la pureté de votre corps, et l’intégrité de vos mœurs ? Si la marque à laquelle on reconnaissait les Chrétiens au rapport de Tertullien, était la fuite des Théâtres et des spectacles ; qui pourra, Messieurs et Mesdames, se persuader que vous professez la même Religion que ces premiers Chrétiens, que vous êtes imbus des mêmes maximes, que vous suivez le même Evangile, et que vous aspirez à la même gloire, si l’on vous voit encore dans ces assemblées impies, et assis dans les chaises de pestilence ? Mais si ces spectacles vous sont défendus en toutes sortes de jours, combien davantage les devez-vous fuir dans les Dimanches et les Fêtes ? car n’est-ce pas profaner ces saints jours ? n’est-ce pas les dérober à Dieu, pour les consacrer au Diable ? n’est-ce pas faire une profession publique que vous n’êtes Chrétiens et Chrétiennes que de nom, puisque vous aimez mieux employer deux ou trois heures aux spectacles, qu’une demi-heure à l’Eglise, pour vous disposer à une bonne Communion ? Ne vous vantez donc plus d’avoir saintement célébré les Fêtes ou les Dimanches, parce que vous y avez entendu la sainte Messe, et que vous vous êtes abstenus du travail, puisqu’il est vrai que vous les avez violés autant de fois, que vous vous êtes rendus à ces pernicieuses assemblées : vous y avez plus déshonoré Dieu cent fois, que vous ne l’avez honoré par la Messe que vous avez entendue : il vous regarde donc comme autant de profanateurs des jours qui lui sont dédiés, et vous châtiera sur ce point selon vos démérites.