L. — (5. Læditur charitas.) La charité aussi envers le prochain y est intéressée et notablement offensée, non seulement par les envies, les querelles, les duels et les dissensions immortelles qui s’y engendrent souvent par les médisances et distractions, mais encore par les frais et les profusions du bien que l’on y fait, dont on pourrait soulager les pauvres et les retirer de misère. C’est le prophète Amos qui pèse cette raison : Malheur à vous qui cherchez les viandes exquises et les vins délicieux, et vous n’avez point de pitié des misères du peuple17 !
L’empereur Basile, surnommé le Macédonien, fit un festin somptueux aux princes et aux grands de sa cour ; il avait fait auparavant jeter en prison son propre fils héritier de sa couronne, nommé Léon-le-Sage, prince très innocent, mais faussement accusé de parricide par les calomnies de Théodore Santabarène. Il y avait déjà sept ans qu’il pourrissait dans le cachot ; mais, comme on fut au milieu du festin, un perroquet qui était en la salle, soit qu’on lui eût appris sa leçon, soit par un instinct de la providence de Dieu, s’écria d’une voix plaintive en langage du pays : αἴ αἴ, κυριος Λεων : Hélas ! hélas ! monseigneur Léon ; les conviés tout étonnés s’arrêtèrent tout court, perdirent contenance et l’appétit tout à la fois, et devinrent immobiles comme des statues, sinon qu’on vit couler de leurs yeux quantité de grosses larmes. Qu’y a-t-il, Messieurs, dit l’empereur ? qu’est-ce qui vous arrête, et pourquoi ne mangez-vous point ? Hélas ! dirent-ils tous, et comment pourrions-nous manger sans une horrible confusion, voyant que cet animal, tout irraisonnable qu’il est, nous apprend notre devoir, et nous reprend de ce que nous y manquons ? nous sommes ici en liberté dans le luxe et la bonne chère, pendant que le prince, votre fils, est au fond d’une basse-fosse, en captivité et à la chaîne. Vous savez que tant d’orphelins, tant d’autres pauvres désolés, qui sont les enfants de Dieu, les membres du Sauveur, sont rongés de vermine faute d’un peu de linge, qu’ils sont transis de froid et qu’ils meurent de faim faute d’assistance ; et l’argent dont vous les pourriez secourir, vous le dissipez en des ébats et passe-temps superflus. Quelle insensibilité ! où est la charité fraternelle, où est la compassion chrétienne, où sont les entrailles de miséricorde que les prédestinés doivent avoir ? Où est l’esprit de pénitence qui vous doit percer le cœur toute la vie, d’avoir offensé une Majesté infinie18 ?